Après l'excellent  Night Call le second film  de Dan Gilroy se penche à nouveau sur une personnalité étrange ici celle d'un avocat presque autiste ancien militant resté prisonnier des années 70 incarné par Denzel Washington qui lui vaut une nouvelle nomination à l'Oscar de meilleur acteur pour ce rôle . Mais le film tient il toutes les promesses entrevues avec Night Call ?


Le  film   s'ouvre sur un gros plan d'un document juridique confus rédigé par le personnage principal, dont Denzel Washington lit le contenu en voix-off. Arborant une coupe Afro indisciplinée, une paire de lunettes peu élégantes, portant des vêtements mal ajustés et sur les oreilles des écouteurs branlants dont on imagine qu'il les a transférés directement de son walkman à son iPod il incarne Roman J. Israel   un juriste obsessionnel-compulsif à la limite de l'autisme socialement inepte mais étonnamment brillant. Israël   a passé 25 années  dans les coulisses d'un petit cabinet d'avocats au service des opprimés de Los Angeles où il a toujours fait des  recherches documentaires et construit les arguments juridiques, ne mettant presque jamais les pieds dans une salle d'audience. Le récit revient alors   trois semaines en arrière au moment décisif où sa vie et sa carrière ont basculé le jour où son partenaire de longue date au sein du   cabinet  souffre d'une crise cardiaque qui le laisse dans un état végétatif.


George Pierce (Colin Farrell)  qui dirige un grand cabinet de la ville   prend le relais du mourant, qui fut son professeur de droit,  estimant l'entreprise est insolvable il dissout le cabinet avec  la ferme intention de licencier Israël. Mais quand il entrevoit ses capacités (Roman a mémorisé par exemple des pans entiers du code de procédure pénale) , il décide de l'engager dans sa propre étude. Roman, qui a besoin d'argent, est forcé d'accepter l'offre de George -  qui représente pourtant tout ce qu'il a longtemps méprisé dans le système de justice pénale - après avoir été refusé pour un poste de juriste salarié dans un association de défense des droits civiques dirigée par l'idéaliste Maya Alston (Carmen Ejogo). Alors qu'il a du mal à s'adapter à son nouvel environnement professionnel , Roman entre en possession d' informations qui pourraient lui rapporter une récompense de 100 000 $. Après avoir lutté avec sa conscience (pendant deux minutes de temps à l'écran) il décide qu'après une vie de sacrifices et d’ascèse , il mérite de vivre une vie à la hauteur de ses talents. Il  touche anonymement la somme et commence à la dépenser:  nouveaux costumes,  nouvelles chaussures et  nouvel appartement haut de gamme. Il abandonne sa coupe de cheveux , adopte une vision cynique du monde  - ce qui ravi  George mais trouble  Maya, avec qui il est resté en contact - et  qui le vénère  pour son quart de siècle d'engagement envers les opprimés et les oubliés.. Mais bientôt  quand son secret est  dévoilé il se retrouve face à une crise de conscience qui pourrait lui coûter non seulement sa carrière mais aussi sa vie.


Pour un film de scénariste (Dan Gilroy le fut durant 22 ans avant de passer à la réalisation avec Night Call ) l'histoire est étonnamment floue  et, quand elle sort d'une longue phase de mise en place  il semble que son auteur peine à décider si L'Affaire Roman J. est une comédie-dramatique ou un thriller juridique, les éléments de  thriller reposant sur une série d'artifices difficiles à avaler. Bien qu'il soit bon pour un personnage d'être ambigu , c'est un problème quand le scénario ne sait pas quoi penser de lui. Parfois,  Gilroy veut nous faire sympathiser avec Roman , tandis qu'en d'autres occasions il traite avec mépris sa naïveté.  Il n'exploite pas assez  la dynamique entre Roman et George - un peu de Roman semblant déteindre sur George, et vice versa- qui apparaît comme le point fort de son intrigue d'autant que Washington et Farrell sont électriques dans leurs scènes communes. A un moment cette dynamique semble constituer la trame centrale de L'Affaire Roman J. - jusqu'à ce que ce ne soit soudainement plus le cas ... Plus problématique encore  la décision prise par Roman, qui  contredit à peu près tout ce qu'il a toujours défendu et déclenche une série d'événements qui mettent des vies en danger poussant les limites  de la crédibilité. Quelques bonnes idées subsistent néanmoins, lorsque par exemple Roman lors d'une réunion sur les droits civiques,  prend conscience que des problèmes tels que le sexisme sous-explorés dans sa jeunesse radicale, sont maintenant au centre du mouvement social. La fin du film est censée offrir un sentiment de clôture, mais ne fait qu'ajouter à la frustration face à un film qui semble pas savoir quel message il veut véhiculer et la manière de le faire.


Mais si le scénariste-réalisateur Dan Gilroy  ne sait pas trop où emmener le personnage Denzel Washington donne son meilleur  pour incarner cet avocat excentrique, en conflit moral contre la société et lui-même . C'est surtout grâce à sa jeu, il lui donne de petits tics et maniérismes sans tomber dans la performance trop voyante,   que nous nous attachons au personnage qu'il semble mieux connaitre que Gilroy lui-même.  A l'image de Washington les autres comédiens sont très bons même si, tout comme lui, ils sont obligés d'apporter des dimensions à leur personnages que le script ne leur donne pas. Ainsi Colin Farrell, confère à son requin du barreau une vraie complexité  même si son évolution  ressemble plus à une construction  scénaristique qu' à une évolution organique de sa personnalité . Carmen Ejogo est la moins bien servie  Maya  apparaît  comme  la conscience de Roman plus que comme une  vraie personne . Comme dans Night Call , le réalisateur et son directeur de la photo  Robert Elswit (There Will Be Blood , les films de Tony Gilroy : Michael Clayton , Duplicity et Jason Bourne L'héritage)  ont un sens aigu de Los Angeles, et parviennent à montrer un côté différent de la ville par rapport à ce qu'on voit généralement  à l'écran.


Conclusion : Mais cette réalisation élégante et les bonnes performances de Denzel Washington, Colin Farrell et Carmen Ejogo sont finalement perdues dans le brouillard d'une intrigue  déroutante, chaotique et parfois invraisemblable qui font de malgré ces qualités de L'Affaire Roman J. une déception après le prometteur Night Call .

PatriceSteibel
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le 6 avr. 2018

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