Cette histoire relate une partie de la vie de l’écrivain Marguerite Duras, alors qu’elle vivait encore à Saigon (Indochine) à la fin des années 20. On découvre à travers ce film ses premiers émois amoureux avec un riche chinois de 16 ans son aîné, émois qu’elle croyait ne se résumer qu’à des parties de jambes en l’air, alors qu’inconsciemment, au fond d’elle-même, ce fut beaucoup plus fort…

Cette jeune rebelle qui rêve d’écrire des livres est interprétée par la troublante Jane March, pas encore majeure lors du tournage du film et se montrant sans aucune pudeur à la caméra, très à l’aise dans un rôle assez difficile d'une héroïne au caractère très ambigu. Quant au chinois qui joue son amant, les fans de films asiatiques reconnaîtront sans problème Tony Leung Ka-Fai, le moins connu des deux Tony Leung. Il est d’une rare élégance dans son costume blanc, et exerce au maximum son pouvoir de séduction sur Jane comme sur le spectateur.

L’histoire est donc toute simple, celle d’une passion résumée presque exclusivement à des va-et-vient dans une garçonnière d’où l’on entend tous les bruits de la ville. Certains trouveront peut-être ça lassant, mais il est quand même difficile de résister à cette atmosphère si sensuelle, si charnelle qu’Annaud a réussi à recréer dans ce film, et il est facile d’être ému en voyant Jane partir sur son bateau vers la France tandis que son amant reste à quai.
Jane March est surprenante dans ce film, tellement elle transcende l'écran au fil des scènes. Filmées avec brio, les scènes érotiques n'auront jamais été efficaces. Montrer le reflet du soleil dans les gouttes de sueur sur les hanches mouvantes de Jane March rend la scène vraiment torride sans être brutale ni vulgaire. Cette sensualité met en relief la relation dangereuse par laquelle se sont liés les deux amants, contrairement à la première scène d'amour cherchant plus l'innocence de la fille se perdant dans l'acte.

Ce film a su me transmettre diverses sensations et sentiments, de la même manière que Marguerite Duras m'apporta son oeuvre. La moiteur des tropiques, le dépaysement, cette page de l'histoire coloniale française, les tenues, les couleurs "savane", ocres, chaudes du paysage...et enfin toute la personnalité et le portrait de l'adolescente m'ont fortement touché.
Son plus beau portrait est celui où l'on peut l'observer accoudée sur le bac, avec son chapeau d'homme, ses chaussures de "grande dame" strassées, ses nattes de jeune fille atteignant à peine ses épaules...et enfin son regard se perdant dans l'infini horizon, vers l'embouchure du Mékong.

Ce portrait évoque pour moi l'image même de cette période transitoire que représente l'adolescence: entre les vestiges de l'enfance et et les premiers soubreceaux de l'âge adulte...la fille est en effet représentée avec ses nattes de petite fille, mais elle porte des vêtements d'adulte (chaussures à talon, chapeau). Et je crois que c'est surtout son regard qui trahit la maturité précoce de cette fille de 15 ans. Dans son univers "glauque" dirigé par une mère froide et rigide et par la terreur psychologique instauré par son frère, le regard de l'adolescente évoque un désir de sortir de cet univers, de se libérer. Le chinois lui apportera cette évasion...une évasion malsaine pour le couple... Et à travers simplement un "arrêt" de la caméra sur la jeune fille, le film retranscrit tout ce que Duras a voulu nous faire imaginer sur l'adolescente qu'elle a été. La mise en place d'une voix off tout au long du film souligne le caractère initiatique du voyage qu'entamera l'héroïne, et ajoute à ce climat exotique, cette délicieuse touche de sensualité. On entre complètement dans la peau du personnage.

Cependant , avec cette adaptation du roman autobiographique de Marguerite Duras,Jean-Jacques Annaud a modifié pas mal d'enjeux de départ ; ce qui m'a fortement déplût.
Dans le livre,la très jeune héroïne voit sa découverte sexuelle lui permettre de se découvrir elle-même et de trouver sa vocation. Dans le film, cela semble se résumer à un caprice d'une gamine rebelle qui veut s'émanciper de sa famille et profiter au maximum des plaisirs charnels. Et puis , c'est vrai que le film n'accrochera pas l'attention de tout le monde, car son rythme est assez lent et les scènes sensuelles peuvent vite devenir lassantes; et puis la critique du système colonialiste qu'on peut lire dans le livre n'a pas été du tout repris par le film ( alors que c'est tout de même un élément très important ). Je pense qu'il faut lire le livre avant d'avoir vu le film pour comprendre certaines choses de l'intrigue et se plonger avec plus de reflexion dans cette oeuvre autobiographique. Car le livre nous donne un approche totalement différente du récit et amène plus à la reflexion des actes et sur les attentions des deux amants et aussi comprendre le contexte historique de l'histoire qui semble être traiter de façon très superficielle dans cette adaptation cinématographique. De plus, étant très axée sur une héroïne adolescente, je peux comprendre que le public masculin soit assez dérouté, et très peu sensible aux messages de l'intrigue car s'identifiant mal au personnage ; en effet la figure de l'homme est très subjective dans cette histoire.


Cependant on peut voir que le film "L'amant" n'est pas juste la juxtaposition de scènes sexuelles d'un bout à l'autre, c'est également un film sur la différence des cultures, qui se refusent à une union entre "races", qui finit par gagner. Cela montre qu'une histoire d'une banalité profonde aujourd'hui n'était pas encore assez mûre pour révolutionner les moeurs sous l'empire colonial. Chacun reste de son coté, et Jean Jacques Annaud montre ainsi, sans ennui, et avec une photo magnifique une histoire qui se termine comme elle a commencé, comme un rêve qui tomberait dans l'oubli s'il n'était pas raconté.

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le 5 mars 2013

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AudreyAnzu

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