Deux grands yeux noirs étonnés, un minois chiffonné, Janet est dans la place, promenant sa silhouette fluette de moineau effarouché des bouges de Paris aux taudis de Naples: qu'elle soit Diane, douce et innocente dans Seventh Heaven, ou l'Angela, plus dure en apparence de Street Angel, elle incarne avec un naturel touchant de pauvres jeunes femmes confrontées aux drames et vicissitudes de la vie, toujours victimes d'injustices policières.


Après le Paris fantasmé de 1914, c'est en effet dans les bas-fonds de Naples qu'on retrouve la môme, aguichant avec maladresse le chaland dans l'espoir de se procurer l'argent qui lui fait cruellement défaut, tandis que dans le logis insalubre la mère agonise sur son grabat.


Et c'est dans un cirque itinérant que la jeune femme désormais orpheline, trouve un refuge et une famille, échappant momentanément à la vigilance policière et devenant l'attraction vedette du spectacle : petite acrobate en tutu qui nous dévoile nonchalamment de fines gambettes gainées de noir, mais dont le regard sans illusions et les propos presque cyniques disent assez toute la détresse.


Et soudain IL est là : Grand, cheveux clairs et bouclés, une candeur lumineuse et un sourire qui ferait fondre la plus insensible des créatures.
Le jeune homme dévore des yeux ce bout de femme, attendri, ébloui, heureux de cette rencontre qui, il l'a compris, va décider de sa vie.
Lui, c'est Gino, peintre bohème, sorte d'homme enfant optimiste et naïf, dont le regard quasi angélique va transfigurer cette petite bonne femme, lui donnant une dimension presque mystique.
Angela, d'abord réticente, s'émerveille du résultat : un portrait où elle se découvre autre et qui la révèle à elle-même, abattant une à une toutes ses résistances et ce refus de l'amour qu'elle portait en elle jusqu'alors.


La quête de la pureté se fait au travers de l'art et c'est le visage intérieur de la femme aimée qui naît sous les doigts de l'homme amoureux.



Partout, dans chaque ville, dans chaque rue, nous croisons sans le savoir les âmes humaines grandies par l'amour et l'adversité"



Telle pourrait être la profession de foi de Borzage, lui dont les films sont peuplés de tous les rebuts de la société: personnages isolés, victimes, rejetés, vagabonds, chômeurs ou déserteurs, auxquels il redonne leur dignité d'êtres humains.


Gino et Angela sont seuls, vivant sur la même planète, mais allant dans des directions opposées : À Farrell les étoiles, le bonheur, le ciel , la lumière, aller plus haut, toujours plus haut. Janet, elle, campe les pieds sur terre et la tête sur les épaules, revenant sans cesse à son point d'ancrage : la réalité, sachant déjà, depuis toujours, que son passé la rattrapera.


Alors, comment ne pas évoquer, cette scène, la plus bouleversante du film : IL côtoie les anges, ayant vendu son tableau, et son bonheur éclate dans ce dîner, presque un festin, qui les réunit, ELLE sait qu'il lui reste une petite heure pour goûter à cette félicité, avant de repartir vers son destin et quitter son ange gardien, son Gino qui ne voit pas "les choses qui sont derrière les choses", son peintre visionnaire qui a désespérément besoin de sa muse.


Mais l'amour chez Borzage, est toujours le plus fort, venant à bout de l'adversité, du malheur et de la souffrance.
Un mélodrame dans la plus pure tradition, et qui derrière son décor d'opérette, parfois un peu prégnant, nimbe toutes les scènes de mystère, le brouillard ajoutant encore à une certaine odeur de sacré où " L' Ange de la rue" retrouve enfin son sauveur.

Aurea

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