Rancho Notorious

S'agit-il d'un western maquillé en film policier noir ou bien d'un film policier noir maquillé en western?
Non, il s'agit d'un film livré en haute tension comme Lang sait si bien faire de tous temps (Man Hunt, the Big Heat, Cape et Poignard, etc. …, rien que pour la période américaine).
Un cow-boy, Franck, (en VF) très amoureux d'une jeune femme qu'il va épouser prochainement doit partir pour son boulot en promettant de revenir et en lui offrant une splendide broche ...
Déjà, connaissant un peu Fritz Lang, on peut se dire que l'affaire ne va se dérouler aussi simplement. Il y a de grandes chances pour que le Destin s'en mêle.
Le cow-boy (très amoureux d'une jeune f...) n'a pas tourné les sabots de son cheval qu'un malfaisant s'attaque à la jeune femme, la viole puis la tue.
Et, crac, le Destin a frappé, le drame est là, la belle histoire est terminée.
Place à la haine absolue viscérale, place à la vengeance ...
Tout le reste du western sera la quête du cow-boy qui abandonne tout pour retrouver l'auteur de l'infamie, le responsable de son malheur. On est dans le schéma immuable, depuis la tragédie grecque à nos jours, où les dieux pour des raisons qu'eux seuls connaissent, foutent le brin sur terre dans les affaires des hommes.
Là encore, le Destin, qui a distillé le venin de la vengeance, tient décidément à ce que l'histoire ne s'arrête pas là et va distiller l'information minimale qui va faire avancer le cow-boy dans sa quête.
Mais comme toujours dans les histoires de vengeance, on a beau faire, la punition du coupable ne suffit pas au retour à la case départ et ne fait pas revenir les morts. La victoire est toujours amère et insatisfaisante. Le héros qui s'est vengé y a du même coup perdu son âme.

Le choix de l'acteur pour jouer le rôle du cow-boy m'a paru très judicieux. Ce n'est pas une grosse pointure mais un très bon acteur qui joue plutôt les seconds rôles habituellement, Arthur Kennedy. Le choix me semble judicieux car Fritz Lang veut le voir évoluer de petit cow-boy, qui se trouve devant une épineuse histoire, en justicier et pour cela il faut que le personnage du cow-boy se forge une personnalité de justicier, apprenne à devenir malin en posant correctement les questions. Quand enfin, il touche au but, il a du mal à cacher son impatience jusqu'à ce qu'il apprenne à séduire pour boucler sa quête. Pour que ça reste vraisemblable, il ne fallait donc pas une grosse pointure face à Marlène Dietrich.

Ah, j'ai lâché le nom. Que vient donc faire cette actrice dans cette histoire sordide ?
Eh bien, c'est un destin parallèle d'une chanteuse de cabaret d'une beauté inaccessible, dure, froide et cynique, en bref, la Femme Fatale. Elle parvient à se faire sa place au soleil en devenant la patronne d'un ranch où viennent se réfugier tous les hors-la-loi poursuivis par la justice et en prenant une part des bénéfices engrangés par les hold-up et autres rapines. C'est une séductrice qui attire les hommes (notamment grâce ses talents de chanteuse à la voix envoûtante) et reste inaccessible.
Et notre cow-boy finit par échouer dans ce ranch et se trouve face à cette femme, Alice Keene, comprenant qu'elle détient la clé de son affaire. Il va donc lui falloir trouver le talon d'Achille de cette femme.

Le western est construit en faisant monter peu à peu la tension et le suspense jusqu'au règlement final. Mais comme très souvent chez Fritz Lang, la tension se relâche en glissant des scènes amusantes comme la course plutôt irrésistible dans un saloon où les filles chevauchent des hommes marchant à quatre pattes. Mais chacune de ces scènes conduisent à fournir au cow-boy un indice supplémentaire qui au final accroît d'un cran la tension du film.
Il est tourné en technicolor mais les décors restent peu élaborés notamment dans la grande scène de séduction de Marlène Dietrich par le cow-boy où des gros rochers en carton pâte entourent la scène. J'ai l'impression que Fritz Lang a imaginé ce décor peut-être pour théâtraliser la scène. Référence au théâtre tragique ?
La musique et les chansons sont magnifiques notamment le "chuck-a-luck" (coup de chance) qui est le nom du ranch mais aussi le nom d'un jeu de hasard. La chanson dont la mélodie est à la fois mélancolique et tourmentée, décrit et confirme l'importance du destin (la chance) dans ce film passionnant.