Une fois de plus... le long de ces couloirs... à travers ces salons, ces galeries... dans cette construction... d'un autre siècle cet hôtel immense, luxueux, baroque, lugubre... des couloirs interminables succèdent aux couloirs... dans des salles silencieuses, où les pas de celui qui s'avance sont absorbés par des tapis si lourds, si épais... qu'aucun bruit de pas ne parvient à sa propre oreille... comme si l'oreille elle même de celui qui s'avance... une fois de plus...
Ce dialogue, qui sert d'introduction, résonne encore dans ma tête lorsque j'écris ces lignes, hypnotisant, fascinant, et monstrueusement bien écrit, lyrique et poétique. L'accent italien du narrateur donne une dimension mystérieuse et intrigante à ces paroles, et la musique, jouée à l'orgue si je ne me trompe pas, lui confère une puissance, une force de persuasion.. Il est impossible détourner les yeux du film à ce moment précis, il m'a attrapé, piégé, sans que je puisse en sortir, car le monde extérieur est déjà loin, oublié...
Mais L'année dernière à Marienbad ne se contente pas de proposer une scène d'introduction fantastique. Le sujet du film est la folie, le doute, la frontière entre le mensonge et la vérité, la réalité et l'imagination, et tout le rythme du film est pensé dans cette direction. Lent, désordonné, haché, les règles du temps n'y sont pas les mêmes que celles que l'on connaît, les souvenirs, l'imagination, s'y mélangent à la réalité si bien que le concept même de réalité n'a plus aucune signification.
De là découlent les nombreuses interprétations que l'on peut avoir du film. Les souvenirs sont-ils inventés de toute pièce par l'homme à l'accent italien ? Ou bien est-ce la femme qui s'imagine cet homme revenir, alors même qu'il est mort un an plus tôt dans cette scène où il tombe de la rambarde ? Je me garderai cependant d'exprimer par ici mon interprétation parmi ces deux possibilités non exhaustives avant d'avoir regardé à nouveau L'année dernière à Marienbad, n'ayant pas porté une attention assez grande aux détails (regarder un film comme celui-ci à une heure du matin alors que j'étais en manque de sommeil ne m'a pas aidé, il faut dire).
Je ne pourrais pas finir cette critique sans évoquer la musique, qui a une grande part de responsabilité dans la réussite de ce film. L'orgue parvient à donner une force phénoménale aux scènes qui le demandent, tout en s'intégrant parfaitement à l'univers de ce film, dans cet hôtel magistral, grandiose, luxueux, gigantesque, et ses habitants qui sont visiblement des gens de haut rang, des gens cultivés. L'orgue transmet donc parfaitement cette atmosphère lente, hypnotisant le spectateur pour l'emmener dans son histoire hors du temps...