C'est un drôle d'endroit pour être libre.
C'est quand même incroyable. Même avec ce que je connaissais de Resnais et de Robbe-Grillet, je ne pouvais pas m'attendre à une telle radicalité. Resnais, c'était peut-être le plus grand. Je suis tellement triste que cet esprit se soit éteint, tellement heureux d'avoir été, même pour si peu de temps, son contemporain - ça me sidère d'avoir pour quelques années à peine vécu en même temps qu'un homme si incroyable !
Pour ce qui est du film, c'est à peu près sidérant tout le temps. Chaque plan est une révolution. Tout est splendide. Là, pour l'instant, je me dis que par rapport à Hiroshima, celui-ci me parle un peu moins. Mais il faut que je le digère. Je me suis même dit que le film n'était pas facile à aimer. Pourtant, cette grandeur qui peut paraître un peu écrasante n'empêche pas la possibilité de se l'approprier intimement : au fond, ça parle de l'être humain tout le temps. Et c'est peut-être bouleversant aussi - parce que Delphine Seyrig, quand elle élève la voix, me fait battre le cœur. On est à l'aube du cinéma moderne, et les cinéastes se demandent comment dire l'oubli, la peur d'aimer, le couple (évidemment on pense à Antonioni tout le temps). Tout se qui se joue dans la tête, tout ce qui excède au visible. Ça passe par l'espace, le montage, la redistribution des points de vue. Il faut que tout éclate, que les codes soient transgressés.
Le film n'est donc pas facile à saisir - je vais devoir le digérer encore un peu. Ça me fait un peu la même sensation que devant un Godard : la même radicalité, la même franchise. Le geste est totalement nu, rien ne nous est caché, tout se déroule à l'écran et jamais ailleurs, la mise en scène a une vie propre, on est dans le corps d'un film et dans la tête d'un artiste ; et pourtant, très vite, le mystère advient. La franchise de l'artiste devient son secret. Sa persévérance dessine une ouverture sur le monde, et ce monde, c'est le notre, nos yeux, notre tête, notre mémoire.