Indiana Jones et le royaume des CGI qui dégoulinent

Ah l'appel de la forêt... Livre qui m'avait profondément marqué étant plus jeune, que je me suis fait un plaisir de relire à l'annonce de la production de cette nouvelle version cinéma, Jack London étant un de mes auteurs préférés dont je ne me lasse jamais de chaque relecture.


Plutôt emballé de prime abord par l'annonce de la présence d'Harrison Ford au casting, j'ai rapidement tiqué en voyant le nom de Chris Sanders derrière la caméra. Non pas que je dénigre ses précédents travaux, allant de l'excellent Dragons au correct Les Croods en passant par le très agréable Lilo & Stitch, mais le fait est que l'annonce d'un réalisateur spécialisé dans l'animation à la réalisation d'un film qui n'en est pas un ne me laissait présager rien de bien attrayant, et je parle là uniquement de la forme du long-métrage de cette critique, sans jugement négatif sur les réalisateurs de films d'animation en général, bien au contraire.
De là vient ma première interrogation. Pourquoi ne pas être allé au bout de l'idée et en avoir fait tout bonnement un vrai film d'animation, avec un tel réalisateur sous la main ? Certes, le sujet a déjà été vu et revu, et déjà sur-exploité avec les Balto ou autres Croc-Blanc (autre nouvelle à succès de Jack London par ailleurs), mais j'avoue être plus que mitigé par ce choix d'un film entièrement tourné en CGI.


La forme, donc, dans un premier temps. Les effets spéciaux, quoi qu'on puisse en dire, sont réussis. Pour être un peu mesquin j'ai presque envie de dire 'encore heureux' quand on sait que le budget du film atteint les 125 millions de $ (!!) même si je suppose qu'une bonne partie a due être nécessaire pour ramener Harrison Ford dans l'aventure.


Le problème de ce choix 'artistique' vient dans ce qu'il pose en terme de respect de l'oeuvre originale. L'appel de la forêt a pour personnages principaux, non pas Buck et John Thornton contrairement à ce que film veut nous faire croire, mais Buck et la nature qui l'entoure.
Celle-ci est prépondérante dans le roman, de chaque arbre du Yukon à chaque lapin bondissant dans la neige, en passant par tout ce qu'elle a de plus harassant et agressif à l'encontre de ceux qui la défient. Clairement, cette forme ne lui rend pas hommage.


Le Yukon a des allures de territoire paradisiaque dans le film, aux textures d'une perfection rare, où il fait toujours un immense et grand soleil, et où le pelage lustré des chiens brillent sur des glaces immaculées, tandis que gambadent des caribous et lapins numériques vite oubliés.


Tout ce qui faisait la dureté, la raison même de l'aventure originale, est ici adouci, édulcoré, et, nous le verrons après malheureusement, ce problème ne se retrouve pas que sur la forme du métrage.
Les chiens se retrouvent avec des expressions quasi-humaines par moment (et pas que dans l'expression d'ailleurs..), comme des personnages de dessin animé caricaturaux, ce qui a pour principal défaut de ne laisser retranscrire aucune subtilité dans leurs émotions tant celles-ci sont sur-amplifiées, et on comprend vite avec ce genre de choix vers quel public le film se dirige et quel considération assez peu flatteuse il en a.


Car oui, en effet, en plus d'avoir, à mes yeux, un parti pris graphique qui ne rend honneur ni a son matériau d'origine, ni au sujet dont il traite, le film se distingue par son scénario, victime d'une surenchère d'édulcoration de tous les instants, dans chacun de ses aspects.
Visiblement, l'Appel de la Forêt par Chris Sanders, souhaite s'adresser à un public jeune, voire très jeune tant le manichéisme est présent et les réactions des personnages basiques à souhait. Au vu des antécédents du réalisateur on peut penser que ça n'a rien de surprenant, mais pourquoi choisir une oeuvre telle que ce roman alors ?


La nouvelle originale se distingue par sa violence, sa nature impitoyable qui se dresse constamment face à Buck.
Ici, notre héros se verra être maté non pas lors d'un combat farouche et acharné face à un dresseur d'une violence rare, mais par un simple coup de baton d'une efficacité risible.
Là où le chien est décrit comme fier et majestueux, on retrouve ici un Saint-Bernard pataud et demeuré, qui vole de la nourriture dès ses débuts, et qui jusqu'aux 90 % du film se distinguera + par ses actions comiques que par sa ruse ou sa débrouillardise.


Là où les autres chiens subissaient toute forme de torture, physique, mentale, voire jusqu'à la rage pour certains, on a ici droit à une armée de larbins de Buck qui voient en lui le rédempteur qui viendra les libérer du terrible Spitz, au terme d'un combat qui semblera plus que comique a quiconque ayant lu la version originale, se terminant sur une simili-prise de judo (oui oui) et évidemment, sur la fuite et non la mort de l'adversaire.


Le personnage de Thornton, supposé n'intervenir que dans les derniers chapitres, fait ici office de compère intervenants à différents moments du film par des coïncidences que l'on qualifiera de surprenantes. Pour le coup, ce choix n'est pas le plus déplaisant, Harrison Ford campant un Thornton plutôt réussi, et il aurait pu le rester s'il n'y avait pas eu cette idée d'en faire un alcoolique nostalgique de sa femme et de son fils décédé d'une maladie pour rajouter une couche de pathos et de tire-larme franchement pas nécessaire. Ah, et Buck l'empêche de boire. Parce que l'alcool c'est mal, vous saviez ?


Le personnage de Perrault est des plus agaçants, là où il est assez ambigu dans le roman, tantôt chaleureux tantôt violent envers ses chiens, on a là un Omar Sy qui se contente de sourire et rigoler en faisant des vannes (et le fait bien, il faut le dire). François est devenu Françoise. Cela ne sert absolument à rien, mais passons vite là dessus.


Charles, Hal, et Mercedes sont caricaturaux au possible, cela dit, ils le sont aussi dans le livre, donc pas grand à chose à dire là dessus, surtout que Dan Stevens, déjà excellent dans Legion, s'en sort bien dans le rôle de Hal.


Je passe également rapidement sur les interventions du loup noir, grossier symbole de la nature qui s'adresse à notre héros, dont le rôle est visiblement de compenser tout ce que le film ne parvient à faire par son scénario ou son environnement, et qui me fait légèrement douter du faible respect qu'a cette oeuvre pour le cerveau et la capacité de réflexion des enfants visés.


Les morts affreuses de ses compères canins ne sont bien évidemment que suggérées, le tout au détour d'une scène tragi-comique où c'est en fait le personnage de Thornton qui vient le sauver, avec son couteau et son fusil, digne d'un Indiana Jones qu'on aurait abandonné au bord du Klondike depuis 20 ans et qui retrouve sa fougue parce qu'un chien lui a rendu son harmonica.


Enfin, concernant la partie finale, tous les mécanismes d'évolution du personnage de Buck sont ici désamorcés et bafoués. En choisissant d'isoler John Thornton avec Buck (au lieu de l'accompagner avec d'autres hommes comme dans le roman), on en fait un espèce de papy qui se sent seul et qui le gronde dès que celui-ci s'éloigne trop tard de la cabane.


Le plus terrible résidant dans l'ultime étape de transition de Buck vers l'animal sauvage, là où originellement John Thornton se fait tuer par des Indiens (pas sous le regard de Buck) et que celui-ci le venge dans la foulée en réalisant un carnage, symbole de la réponse à la nature par la nature, dans ce qu'elle a de plus virulent, on a ici droit à un retour de Hal, que Buck va se contenter de pousser dans le feu que Hal a lui-même provoqué. On se doutait bien que dépeindre un carnage, ou rien que des Indiens agissant de façon cruelle (mais normale pour eux) n'allait pas être présenté ainsi au vu du postulat du film et de la compagnie qui en est à l'origine, mais cet ultime bafouement dépasse toute les espérances de non-respect de ce qui fait l'essence même du personnage de Buck.


D'un chien ayant traversé les pires obstacles et vaincu les pires adversités, on se retrouve donc ici avec un gros toutou sympa qui fait rire les enfants, et qui est plutôt chaud de rester se promener dans sa forêt en CGI, parce que bon, quand même, il faut bien se reproduire à un moment.


Là où un film comme le magnifique Les enfants Loups Ame et Yuki dépeignait un retour à la vie sauvage subtilement progressif, ici j'ai l'impression tenace que ce simili Saint Bernard numérique se retrouve là où le film se conclut un peu par hasard au bout d'un chemin d'une implacable linéarité où chaque obstacle aura eu la puissance émotionnelle d'une casserole.


Je suis conscient d'avoir beaucoup (énormément ?) évoqué l'adaptation de l'oeuvre originale dans cette critique, et je me doute bien que le fait de l'avoir apprécié joue là dedans.


J'ai essayé cependant de prendre du recul pour prendre le long métrage pour ce qu'il est, mais même ainsi, ce qu'il m'en reste ne me paraît qu'être un film de démonstration graphique aux ficelles grossières, aux allures de jeux vidéos où Buck franchit checkpoint par checkpoint le chemin qui le sépare de la vie sauvage par des artifices bateaux et caricaturaux.


Je ne peux me résoudre à lui mettre moins de 4 car je suis parfaitement conscient que certains y trouveront leur compte, surtout sans avoir lu le roman de London, que les acteurs sont somme toute corrects, et que les effets spéciaux sont réussis (sans être nécessaires, comme déjà dit), et je n'ose imaginer les heures de travail qu'ont du nécessiter certaines scènes que j'ai trouvé plutôt jolies.


Lire le roman ou se plonger dans un des meilleurs épisodes de la Jeunesse de Picsou inspiré de l'oeuvre en question permettra une immersion infiniment plus poussée que ce film qui offre plutôt une expérience digne d'une attraction de Disneyland sur le thème du Yukon et dont l'intérêt, même en tant qu'oeuvre à part entière, me semble plus que limité,sauf si le rire d'Omar Sy vous est particulièrement communicatif.


Malheureusement, je n'ai pas reconnu l'Appel...

DrZoidberg
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le 7 avr. 2020

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DrZoidberg

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