L’année 2019 aura révélé deux films intéressants au-delà de leur schéma narratif et de leur formalisme assez au-dessus de la moyenne, il s’agit du très surestimé Joker du très quelconque Todd Phillips (ce propos n’engageant bien évidemment que moi) et le très bon Parasite du doué Bong Joon-Ho. Deux œuvres inégales, loin d’être parfaites surtout pour la première citée, qui seront au moins parvenues à faire prendre conscience au public pas encore totalement intoxiqué par la grosse machine Hollywoodienne et la comédie niaise hexagonale, qu’un autre cinéma était possible. Alors ébahi et ayant subitement la sensation d’assister à une révolution, à ce retour d’un cinéma qui lui parle, ce public s’est senti investi d’un grand sursaut de cinéphilie, encensant deux œuvres certes formellement intéressantes, surtout le Bong Joon-Ho… et donner espoir à la renaissance d’un nouvel Nouvel Hollywood.


Pour revenir au film réussi des deux nommés, en l’occurrence, Parasite, il était une évidence qu’au-delà de son aspect novateur et de la grande énergie découlant du talent de faiseur de son auteur, les qualités intrinsèques l’élevant au-dessus de la mêlée, était cette grande faculté qu’il avait de mêler la gravité découlant des réalités sociales contemporaines, à la cruauté décapante découlant des attributs chers à ce que fût en son temps, la fameuse comédie sociale à l’italienne.


Luigi Comencini étant avec Dino Risi, Pietro Germi, Ettore Scola, Mario Monicelli et tutti quanti, l’un des chefs de file de cette génération de cinéastes hyper doués qui parvinrent à amuser le public tout en lui tirant l’oreille et en cherchant à l’éclairer, sans lui faire la leçon… (Une gageure que la plupart des cinéastes actuels n’ont absolument pas mise dans leurs standards soit dite en passant). La comédie sous acide, celle qui ne faisait pas dans la dentelle, mais qui n’oubliait pas de servir de poil à gratter au politiquement correct et surtout de ne jamais tomber dans les travers convenus du manichéisme.


Au casting de Lo Scopone Scientifico, on retrouve l’inégalable Alberto Sordi, l’acteur qui incarnât le mieux les rôles de fourbes et de faux-culs notoires de la comédie italienne. L’incarnation de l’avidité et de la lâcheté sous couvert de bouffonnerie, qu’il soit un bourgeois tout petit, petit ou un veuf éploré prêt à vendre son œil, un vitelloni sous l’œil de Fellini ou un pleutre roi de la manigance et joueur trop gourmand dans cette comédie absolument succulente.


Leur but, à lui et son épouse, un couple de gens modestes ayant des difficultés à joindre les deux bouts dans cette Italie des bidonvilles jouxtant la grande Rome, prendre son oseille à une milliardaire incarnée à l’écran par la grande Bette Davis, qui réussit une performance dans le rôle d’une vieille rombière pleine aux as accroc aux cartes. Alors s’en suit un véritable combat à la vie à la mort dans lequel il ne fait pas bon avoir les yeux trop gros.


Dans la comédie satirique italienne, les attributs découlent toujours de ce miraculeux équilibre qui l’empêche toujours de sombrer dans le grotesque et le vulgaire que ses intonations, voir sa stylisation, je pense notamment à l’utilisation fréquente du zoom, lui font prendre au préalable. La comédie nait de la gravité et quand le sérieux prend le pas sur l’absurde et le second degré, que l’on fait dans les bons sentiments, une pirouette souvent cruelle et décapante, évite le pathos et le consensuel.


Dans L’ Argent de la Vieille, ces éléments sont éminemment utilisés de manière à mettre en branle les dérives et les bassesses de l’humain dans toute sa splendeur. Personne pour racheter l’autre. Malgré tout ce foutoir ambiant et cette grandiloquence permanente, le message politique et social est présent en filigrane. No one is innocent avons-nous envie de penser. Personne sauf la fillette handicapée, l'aînée des 6 enfants du couple, qui semble être le seul personnage mature de cette mascarade. Et qui dans un dernier soubresaut de générosité offre la mort sur un plateau dans un final en trompe-l’œil en venant sauver ce qui peut l’être. Admirable coup de poker qui met fin à une œuvre dont les fanfaronnades et autres envolées carnavalesques, caractéristique de la commedia dell’arte, cachent une profondeur dissimulée sous couvert de bouffonnerie. La satire sociale à l’italienne tout simplement.

philippequevillart
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le 28 déc. 2019

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