Melville, délicatement, dissipe ici les mystères de la résistance. Sa caméra discrète et sombre s'immisce dans cette France en guerre intérieure, où les rues vides n'accueillent plus que les défilés allemands. La mise en scène brillante perce à jour ce brouillard lourd et laisse entrevoir une population ceinturée, meurtrie mais qui a fait de sa résistance un artisanat de l'immédiateté et de la débrouillardise.
L'Armée des Ombres raconte ces gens, ces citoyens lambda arrachés à leurs vies et prisonniers dans leurs maisons. Ces gens qui ont décidé de chuchoter dans les soubassements des villes pour mieux entretenir la flamme de la lutte. Ces gens qui jours après jours tissent les toiles d'un réseau secret, de Paris à Londres, dont la solidité ne repose que sur leurs déterminations propres.
Cette reconstitution minutieuse de la résistance est tout bonnement sidérante de réalisme. Melville, délivre un magnifique hommage à ces soldats en pardessus à la destinée bien souvent tragique.
Sous cette direction d'orfèvre, les acteurs sont époustouflants également. Les légendes Lino Ventura, Simone Signoret ou encore Jean-Pierre Cassel habitent leurs personnages. On les sent accablés, terrifiés, mais néanmoins investis par leur mission. Prêts à n'importes quels sacrifices pour ne pas briser ce qu'ils se tuent à entretenir.
L'Armée des ombres est une fiction totale mais à la lisière de l'archive de guerre. Un témoignage précieux d'une époque crépusculaire où de redoutables citoyens se sont extirpés des ténèbres.
Un grand film.