L'Assassin
6.9
L'Assassin

Film de Elio Petri (1961)

Film malicieusement interprété par Marcello Mastroianni (mais n'allons pas trop vite), son réalisateur a su y mêler de manière brillante atmosphère kafkaïenne et comédie de l'absurde. Car si les grinçants et contestataires Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (1974) ou La classe ouvrière va au paradis (1971) sont par voie de fait les œuvres de Petri les plus connues, les bases de son cinéma y sont déjà posés dans ce premier film où son analyse de la société italienne garde encore une certaine fraicheur, avant de se teinter d'une profonde amertume (1) la décennie suivante, au gré des sinistres années de plomb qui ensanglantèrent sa péninsule...

Alfredo Martelli (Marcello Mastroianni), jeune antiquaire romain, est arrêté à son domicile et emmené au poste de police sans aucune explication. Dans l'attente d'être interrogé, celui-ci croit dans un premier temps être accusé d'une simple plainte dans le cadre d'une vente frauduleuse. Or une fois reçu par le commissaire Palumbo (Salvo Randone), Martelli apprend l'impensable, son ancienne maitresse et ex-associée Adalgisa De Matteis (Micheline Presle) a été retrouvée morte au matin dans sa villa. Bouleversé et désigné désormais comme le suspect numéro un, l'homme se remémore son passé récent tout en tentant vainement de se disculper ; mais le poids de sa culpabilité ne fait aucun doute aux yeux de la police...

Pouvait-il en être autrement. Qui d'autre que Mastroianni pouvait jouer et réussir cette composition habile et troublante, savoir garder suffisamment de grâce et de légèreté dans un environnement glissant lentement vers le noir et l'absurde. Construit sous forme de flashbacks, le récit dépeint un personnage principal à la moralité « douteuse » selon les conventions sociales, un coupable idéal prenant les traits d'un séduisant antiquaire à moitié escroc, un amant sinon intéressé tout du moins volage et en guise de conclusion, un « mauvais » fils. Mastroianni est tout cela et bien plus encore, un homme innocent nageant à contre courant luttant jusqu'à l'épuisement, devenu le jouet d'une bureaucratie policière.

Au delà d'une intrigue criminelle conventionnelle et prévisible, L'assassin utilise ce prétexte narratif pour mieux étudier le sentiment de culpabilité qui assaille chacun de nous face à l'autorité. Comme le souligna Petri dans un entretien au critique Jean Antoine Gili, le long-métrage suit la voie tracée par son compatriote Michelangelo Antonioni avec son chef d’œuvre sorti la même année La nuit (La notte). Ces deux films partagent à la fois le même interprète principal mais également le thème de l'incommunicabilité. Or si cette dernière se situe dans le cercle privé du couple chez le réalisateur de L'Avventura, Petri nous interroge à travers elle sur les notions de la culpabilité humaine, et de la « présomption de culpabilité » ; le personnage de Martelli symbolisant le réceptacle tourmenté de cette innocence mis à mal.

Mise en musique par Piero Piccioni, auteur de celle de L'affaire Mattei, autre grand film politique transalpin des années 70 de Francesco Rosi, mais également responsable de la bande originale du Mépris de Godard pour ses versions espagnole et italienne, le compositeur propose une bande-originale jazz essentielle et en adéquation avec l'atmosphère du film noir ; à l'image des cadrages et de la photographie de Carlo Di Palma, chef opérateur du Désert rouge et de Blow Up d'Antonioni et de certains films de Woody Allen (Hannah et ses soeurs, Ombres et brouillards, Radio Days, etc.).

Œuvre contestataire, nécessitant pas moins de 90 modifications auprès des censeurs, L'assassin d'Elio Petri est un film d'une rare intelligence dont l'absurdité et l'humour trouvent en Marcello Mastroianni leur meilleur représentant.
Claire-Magenta
9
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le 30 janv. 2013

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Claire Magenta

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