Voici un genre de western adoré des cinéphiles avertis. Le western « crépusculaire », tardif, plus une réflexion sur le genre, qu’un film du genre. Le western est tombé en désuétude depuis longtemps, et revit grâce à quelques géniales fulgurances, le Pale Rider d’Eastwood par exemple. Les gangsters qui attaquent un train, ça va toujours faire son effet sur les spectateurs, c’est sûr. Après ça, on tourne vite autour des clichés du genre fuite, duels, etc. Le réalisateur tente alors l’impossible. Dresser un portrait mi-flatteur, mi-abject de ce Jesse James, légende de l’ouest. Et c’est très long, étudié, disséqué au rasoir, on passe de western à drame. Les défauts de Jesse, on ne les voit pas. Les autres sont aussi « défectueux » que lui. Le côté malin du casting, c’est donner à l’icône Brad Pitt le rôle du méchant Jesse, et de lui demander de jouer Brad Pitt, pas Jesse. Trouble chez le spectateur, et prix d’interprétation à Venise, à la clé. Tous les autres sont là comme des pantins, liés plus ou moins fortement à lui. Soit ils ont peur, et veulent le fuir, soit ils veulent lui ressembler. Tout le monde a peur de lui, et de sa réputation de tueur, lui il se contente de vivre le plus tranquillement avec sa petite famille, entre deux rapines. C’est comme s’il avait déjà accepté son destin, le naturel destin du braqueur assassin, être assassiné ou pendu.


Pitt est minéral, d’une sobriété impressionnante, pour incarner son double en négatif, un salopard célèbre et adulé, un robin des bois de l’ouest sauvage, ce qu’il n’était pas en réalité, Jesse pas Brad. La simplicité du jeu, donne une humanité inattendue au personnage, il est parfait dans le rôle. Rôle compliqué, avec une mise en scène, au ralenti, un film long, qui fait sentir la durée, comme une longue balade funèbre. Les décors sont des paysages enneigés la plupart du temps, tristes et beaux. Le travail graphique est très beau. Cet effet de verre mouillé, ces sépia colorés, une photo du plus bel effet. Un film esthétiquement soigné, et c’est vrai qu’il est long, mais c’est une belle marche funèbre spectrale. Une poésie, avec de longs plans immaculés, comme la fin de quelque chose. La fin d’une époque, d’une légende, d’un mensonge.
Par un curieux concours astral, j’ai vu ce film un premier avril, et surprise, c’est le premier avril que Jesse a fait à Robert le cadeau qui va lui coûter la vie. L’assassinat de Jesse James serait un poisson d’avril ? Non. Au vu de tous les signes laissés en cours de route, je pense que le réalisateur avait une idée dans la tête. Cette légende qui finit par faire le vide autour de lui, qui se méfie de tout le monde, qui n’aime pas ce qu’il est devenu…Je me demande si le lâche ce n’est pas Jesse lui-même, pas Robert Ford. Pour moi c’est logique. N’ayant pas le courage de se suicider, se voyant arrivé au bout le la route, il a utilisé ce jeune idiot ambitieux, qui le suit partout, qui veut lui ressembler, un fanatique comme on dirait aujourd’hui; ce jeune inconscient sera l’instrument qui achèvera son autodestruction, et la fin de son projet de vie, suicide par son double interposé.
Et une fois Jesse supprimé, (no spoiler, puisqu’on le lit dans le titre), on voit le calvaire de ce pauvre Ford, qui croyais devenir un héros, et qui deviendra tout le contraire. Moralité : Qui tue une légende, en espérant récolter un peu de gloire, verra cette légende devenir encore plus grande, et le hanter à jamais. Belle prestation de Casey Affleck, jeune, la tête vide, plein de rêves, arriviste. Beau western tardif. Beaucoup de westerns tardifs lèvent un peu plus le voile sur la soi-disant légende de l’Ouest peuplé de faux héros, et de belles histoires.
Angie_Eklespri
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le 18 mai 2015

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