Un très beau film avec des cadrages incroyables, d'une modernité et d'une audace peu communes. Le montage suit ce train d'enfer et d'innovation.
Les perspectives soulignées sur les quais, dans les rues, l'encadrement des intérieurs de la péniche dessinent une sorte de dyptique enserrant l'espace entre mouvement et inertie, entre dedans et dehors, intime et public, la liberté du désir et l'emprisonnement de l'amour.

Le couple Dasté/Parlo, dont le sort est le coeur du film, traverse un océan de certitudes balayées par une tempête de doutes libidinaux, amoureux, surtout existentiels. Quelle est ma place dans l'univers? Quelle est ma place dans son coeur? Qu'est-ce que je veux? Les atermoiements dans lesquels Parlo se précipite tel un papillon de nuit dans les lumières du réverbère sont les angoisses des premiers graves engagements à l'heure où les ardeurs primales laissent le pas devant l'habitude apaisée. Ce passage ne se fait pas sans violence, sans péril. Les sommets peuvent paraitre infranchissables, des points de non retour, comme cette offre alléchante de voir Paris, la ville lumières qu'un Gilles Margaritis, lutin furieusement enjoué, camelot enthousiaste, voyou espiègle, démon coquin n'a de cesse d'agiter devant les yeux embués de rêves de la jeune Parlo. Ces mêmes rêves, le père Jules les a apprivoisés; les mers du sud, les perles noires exotiques ou les machines à faire de la musique y remplacent Paris et ses aveuglantes lumières.

Le film est d'une sensualité incroyable. Chargé sexuellement. Les contacts entre les corps, entre deux regards de biais, d'en dessous, sentant la braguette, dans le réel du toucher et du baiser ou bien d'une danse rebondissante (Margaritis enlève sa Sabine Parlo à la gorge nouée de jalousie de Dasté), dans l'irréel du rêve échevelé que les amants partagent malgré la distance (la juxtaposition des peaux blanches, des muscles étirés dans la chaleur de la nuit) sont d'une fièvre et d'une puissance merveilleuses. Ils sont mimis, émeuvent et charrient avec eux nos souvenirs personnels, ceux de jadis, ceux de maintenant. Difficile de rester de marbre à ces évocations des sentiments chamboulés, des désirs malmenés.

J'ai peine à me rappeler toutes les idées, toutes les trouvailles scénaristiques ou dans la mise en scène, par le montage et les accompagnements musicaux d'une fraîcheur immensément vivifiante qui parsèment ce film, riche, très riche et que je reverrais volontiers, que je reverrai sans aucun doute. A siroter. Un soir d'été. Magnifique film d'amour, aux sous-textes multiples, à la prose débordante, un cadeau d'adieu de Vigo mort horriblement trop jeune.
Alligator
9
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le 8 févr. 2013

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Alligator

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