Xavier (Romain Duris) est le prototype de l'étudiant de bonne famille (un père énarque et une mère baba cool) paumé dans sa vie, qui fait où on lui dit de faire. Après avoir décroché son diplôme en économie et fait jouer le piston paternel, un job lui est promis au ministère des finances s'il se spécialise dans l'économie espagnole. Comme Xavier est un garçon obéissant, il obtempère sans se poser de question et le voilà parti pour un an à Barcelone dans le cadre des échanges interuniversitaires Erasmus. Il abandonne donc famille et petite amie pour découvrir le dynamisme de la capitale catalane, la vie en communauté et au final, se découvrir lui-même.

De l'aveu de ceux qui ont tenté l'expérience Erasmus, le film de Cédric Klapisch rend bien compte du joyeux bordel ambiant qui domine alors la vie étudiante : le frigo partitionné, les perceptions divergentes de ce qu'est le rangement, les incompréhensions liées aux mélange des langues mais surtout (quand tout se passe bien), la formidable complicité qui se crée entre les colocataires.
Pour ceux qui n'ont pas eu la chance de vivre l'expérience (dont je suis), "L'auberge espagnole" ne manquera pas de faire naître quelques regrets. Les petits tracas quotidiens si chers à Klapisch, ces petits désagréments sans importance qui prennent des proportions démesurées quand ils sont vécus ont le goût de la nostalgie, sans doute celle d'un réalisateur qui regrette sa jeunesse.

Avec Erasmus, on bosse peu, on fait beaucoup la fête et on ne fréquente que peu les autochtones. Pourtant, et alors que Barcelone est une ville magnifique, Klapisch a choisi de ne la montrer que furtivement. On a tout de même le temps d'apprécier ses ruelles pittoresques, ses bords de mer et quelques monuments. Quant à la population locale, elle ne joue dans le film qu'un petit rôle parfois un peu trop didactique : une courte discussion avec des étudiants sur l'opposition catalan/castillan, l'apprentissage grâce à un serveur de l'espagnol "de puta madre", le savon passé par le bigot proprio de l'appartement et c'est à peu près tout. Ce qui pourrait paraître être une incohérence s'avère en fait être souvent la réalité des étudiants expatriés.

Alors qu'il est clair que Klapisch veut donner à son film une dimension de fraternité européenne, son discours prend un tour bien surprenant. Avec le personnage du petit frère de Wendy (l'Anglaise), il tente de fustiger les stéréotypes pesant sur les différentes nations de l'Union Européenne. Pourtant, ses personnages s'avèrent y répondre complètement : l'Italien est bordélique alors que l'Allemand est rigoureux, l'Anglaise est coincée, l'Espagnole est fière et le Scandinave est ouvert et tolérant. Et l'Américain est bien sûr un gros lourd sans rien dans le crâne tandis que le Français est un beauf macho (le mari de Judith Godrèche, et elle une potiche finie !).

En plus de ce cette étrange prise de position, Cédric Klapisch n'évite pas certains écueils. Le premier est celui d'un mélange pas toujours très heureux entre documentaire sur la jeunesse un peu paumée des années 2000 et comédie grand public. Certains passages lorgnent vers le reportage façon "Avoir 20 ans à Barcelone" et, bien qu'apportant un éclairage intéressant et réaliste sur la vie d'étudiant Erasmus, desservent la narration.
On peut également s'interroger sur le délire hallucinatoire de Xavier pendant lequel il pense croiser Erasme revenu de voyage. Complètement anachronique dans le développement du scénario, il n'apparaît absolument pas indispensable au rebondissement qu'il introduit et casse la dynamique.

Ensuite, le discours verse souvent dans la démagogie et les bons sentiments. Il faut apprendre à vivre avec l'autre, les voyages forment la jeunesse, connais-toi toi-même, blablabla... On a connu Klapisch plus inspiré dans ses approches quoi qu'il ait toujours eu cette tendance à l'optimiste à outrance (excepté dans "Ni pour ni contre (bien au contraire)").
Enfin, et ce n'est pas forcément le moindre, on a du mal à s'identifier à Xavier, pourtant pierre angulaire et narrateur de l'histoire. Sans doute est-ce dû au ton utilisé par Romain Duris pour mener la narration et au mélange malheureux entre documentaire et comédie.
Et pourtant, on ne peut pas reprocher au personnage de Xavier d'avoir été mal écrit. Ses réactions, sur le papier, sonnent juste que ce soit dans ses relations familiales, amoureuses ou amicales. De là à reprocher à Romain Duris de manquer un peu de profondeur pour le coup, il n'y a qu'un pas.

Pour autant, comme à chaque fois, le charme Klapisch agit et on se laisse prendre au jeu. Le réalisateur français sait raconter les histoires (malgré les soucis précités) et rendre son film sympathique. Sans qu'on arrive à s'attacher vraiment à aucun des personnages (sauf peut-être à celui de Cécile de France), une atmosphère de profonde bonne humeur de franche camaraderie se dégage de ce qui fut un des succès cinématographiques de 2002. Doit-on cela à la chaleur du cadre ? A la bonne humeur apportée par chacun des comédiens ? A ce que le scénario de Klapisch a d'universel (la quête de soi-même si chère à Coelho) ? Sûrement à un peu de tout ça, et si on arrive à faire abstraction du jeu catastrophique de Judith Godrèche et de la démagogie du discours en ne prenant "L'auberge espagnole" que pour ce qu'elle est (une petite comédie sans prétention), on arrive à passer un très bon moment en famille.
NicoBax
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le 1 nov. 2010

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NicoBax

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