De l’universalité de la condition humaine

Au cœur de l’histoire la plus simple, la plus universelle qu’il soit possible de conter, dans le noyau dur de la plus épurée des narrations, au centre chaud de l’universalité incarnée, l’Homme reste malgré tout tourmenté par ses démons et ses instincts primaires. Et c’est là, le véritable propos de L’Aurore.


Murnau nous peint une toile de maître au vernis craquelé. L’histoire est en fait celle de la représentation de la psyché des hommes. Le film s’articule autour du personnage principal, et si le générique établit très clairement la volonté de Murnau de rendre le récit le plus universel possible en ne donnant aucun nom à ses personnages, il s’agit non pas de nous présenter l’amour sur son coussin de soie mais bien de nous aspirer dans les méandres de l’individu égoïste. Le trio d’acteurs formant le squelette du film n’est en fait pas équilibré. Les deux femmes ne sont que des fantasmes et des manifestations des émotions du personnage principal. Et là où il serait hâtif d'y voir un sexisme quelconque, il s’agit en fait de présenter l’unique point de vue du personnage masculin. En partant de ce postulat, tout le film chemine au grès des émotions, sensations, scrupules et remords de l’homme projetant en fait ses propres désirs égoïstes sur les deux femmes et les emportant avec ses démons dans une danse enfiévrée au clair de lune.


L’entièreté du film est une excroissance de l’homme, une tumeur au grain superbe, somptueusement mis en scène dans un apparat gothique qui sied à merveille au fond de l’histoire.


L’Aurore n’est pas une histoire d’amour.


Il s’agit de l’Homme malmené par ses pulsions, presque privé de libre-arbitre et pourtant toujours responsable de sa propre situation. Sa condition d’Homme sexué chevillé au corps, on ne peut que comprendre sans excuser ses actions et réactions. C’est sur ce point que Murnau livre à l’humanité une histoire universelle qui, presque un siècle plus tard, continue de résonner et de bourdonner dans la tête de son spectateur. C’est l’histoire de l’Homme incapable de prendre le contrôle de son existence. C’est l’Homme vouait à lutter contre sa condition pour l’éternité. C’est l’Homme qui se ment à lui-même. Celui qui, après des millénaires d’évolution, après la parole et l’écriture, la démocratie, le moteur à explosion et internet, continue encore et toujours à revivre la même histoire et à devoir lutter, sa vie durant, contre des bouillonnements intérieurs qu’il est de bon ton de ne jamais laisser paraître en société. Pour ne jamais menacer le bel édifice social taché de sang et de sueur.


Alors, dans ce cas, L’Aurore est universelle. Mais cette aurore, c’est celle que personne n’a encore jamais vu. C’est celle dont l’existence hypothétique est transmise de génération en génération d’hommes faillibles et qui cristallise tout l’espoir de l’espèce humaine, tout ce vers quoi les hommes souhaiterait tendre pour enfin parvenir à transcender leur condition, à s'extraire de l'obscurité et à s’arracher enfin définitivement de la nature pour pouvoir régner sans contrainte sur leur essence.


Murnau a osé raconter une telle histoire et surtout, a eu l’effronterie de la mettre en image et de la présenter, bien cachée, aux yeux de tous.

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le 24 juil. 2017

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Neeco

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