L'acte de naissance du film catastrophe moderne

L'Aventure du Poséidon, c'est le métrage qui servira d'étalon au genre du film catastrophe. Annoncé comme un naufrage par le tout Hollywood (rigolo quand on sait que ça se passe en pleine mer), le producteur Irwin Allen (qui sera plus tard impliqué dans un autre monument du genre, La Tour Infernale) faisait de son bébé une réussite critique et commerciale, faisant fermer leur gueule à ses détracteurs. Il faut dire que le réalisateur, Ronald Neame, gère bien son affaire.


L'intro en pleine tempête donne le ton, offrant les premières sueurs froides aux capitaine (Leslie Nielsen) et son équipe, et mettant au passage en avant un détestable protagoniste dont les ambitions financières mettent en danger tout les passagers du bateau. Une sympathique petite histoire inclue dans la trame principale, qui au final, sera balayé d'un geste de la main, la main étant l'immense vague issue d'un tremblement de terre souterrain. Mais avant ça, on nous présente les futurs personnages principaux post-catastrophe, le tout dans une ambiance festive, réveillon oblige. Et la tension va monter en flèche quand, pendant que la majeure partie de ce beau monde fait la fête, le réalisateur alterne avec des séquences au poste de navigation, où les acteurs impuissants voient venir le mur d'eau via le radar, avant de l'apercevoir, la tension atteignant son paroxysme, et l'ambiance joyeuse disparaissant définitivement.


Le film va alors offrir tout un enchainement de séquences classiques du genre, mais souvent inédites à l'époque, et qui seront généreusement reprisent dans de nombreuses pellicules. La fameuse séparation des survivants en deux groupes (qui allait devenir un fléau des films d'horreurs), les séquences héroïques de protagonistes aux destins tragiques permettant au groupe de continuer son chemin, les tensions entre fortes têtes, un passage dans la flotte presque logique au vu de l’histoire. Les péripéties ne sont qu'une succession des scènes destinées à devenir des passages imposés pour tout ceux qui viseront le même genre de métrage.


Le groupe de survivants va lui aussi imposé certains stéréotypes usés et abusés de nos jours. Le petit génie qui sait tout sur tout (ici un gamin quelque peu irritant) ; une paire de jeunes femmes atout charme qui rivaliseront par leur coté poids mort, boulets du groupe, entre hurlements et paralysies pour cause de peur dans les pires moments ; le jeune coincé, se sentant insignifiant, mais qui finira par se révéler plus courageux que la plupart des camarades d'infortunes ; le couple de retraités, dont la femme en surpoids (géniale Shelley Winters), se désignant elle-même comme maillon faible, va se révéler comme la présence féminine la plus importante de par ses actes ; le mec au sale caractère (le regretté Ernest Borgnine), remettant sans cesse en cause les décisions de celui qui s’est imposé comme un leader, et passant son temps à maugréer ; et donc le leader (excellent Gene Hackman avec des cheveux, haha), révérend très progressiste, dont le sermon en début de film invite les croyants à compter sur eux avant tout au lieu d’attendre un signe pour se bouger (et putain que ça fait du bien d'entendre ça d'un perso religieux dans un média qui se contente souvent de poncifs à base de "Ayez la foi et priez"), sermon qui va vite se révéler prémonitoire, les rescapés étant ceux ayant fait le choix d'agir plutôt que d'être passif.


Pour mettre en scène tout ce beau monde, Ronald Neame va user de plans efficaces, filmant la séquence d'escalade d'une des cheminées du paquebot de tel sorte à renforcer le coté vertigineux de l'entreprise. L'eau, menace constamment présente, et envahissant progressivement la futur carcasse engloutie, vient peser constamment dans la balance, mettant sous pressions les persos et le spectateur. Plus subtil, tout les plans du film à bord du bateau offrent un léger tangage de la part de la caméra, rien de gênant et à peine perceptible, mais venant intelligemment rappeler où l'on a mis les pieds.


La maquette du paquebot à l'envers fourmille de détails et l'illusion de son existence fonctionne, le passage culte de lame de fond agrandi plus que la normale via trucage optique reste un morceau de bravoure. Du basique pour des effets spéciaux, mais d'une efficacité redoutable. Quand aux décors, où tout est inversé, ils offrent des images inédites voir incongrues (les chiottes pour hommes).


Si je devais reprocher quelque chose au film, c’est sa dynamique parfois malmené le temps de quelques discours et/ou crises féminines des boulets atout charmes. Dommage, car on frise le chef-d’œuvre à mes yeux. "Tu verras, c’est un bon film" me disait mon père alors que gamin, je découvrais cette bobine. Je le trouvais bien mais je ne me rendais alors pas compte de la portée du film, et le revoir des années plus tard m'aura permis de prendre une belle claque.

auty
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le 15 juin 2015

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