Saluons l'existence de Barbet Schroeder, saluons sa façon de réaliser un documentaire qui se révèle - et c'est ce qui en fait un très bon documentaire, voire excellent - être finalement au-delà du genre dans lequel il se classe.


Parce que L'avocat de la terreur, certes, un documentaire sur Jacques Vergès, mais il est bien plus que cela. Et c'est, paraît-il, si je me penche sur mes quelques notes prises en cours, ce qui en fait un chef d'oeuvre : une oeuvre qui repousse l'horizon d'attente du spectateur.


En s'intéressant à Jacques Vergès, Schroeder donne la parole à un être subversif, et fait émerger, nettement, tout un ensemble de contextes politique, géopolitique et historique, qui permet à la fois de comprendre l'époque où cet avocat fit parler de lui, mais notre époque actuelle - et c'est précisément ce que l'on attend des enseignements de l'histoire.


En soi, si nous considérons quelques unes des différentes personnes défendues par Vergès, qui apparaissent dans ce documentaire, nous trouvons : Djamila Bouhired, militante du FLN, Magdalena Kopp, membre des Cellules Révolutionnaires allemandes, Klaus Barbie, officier SS, et al.


Les deux premières, Djamila Bouhired et Madgalena Kopp, furent des personnes considérées, par le grand public, comme des terroristes. Lors de leurs défenses, c'est avec l'adjectif (ou le substantif) révolutionnaire que Vergès parlent d'elles. Elles sont, avant tout, des personnes issues de minorités opprimées, qui ripostent à l'oppression violente par une même violence. Instinctivement, alors, dans notre cervelle, des signaux s'allument : le terrorisme, oui, je connais, et oui, on m'a dit que ces gens n'étaient que des barbares, voire des primates - et si, finalement, toute cette histoire avait un double-fond, voire des strates ?
C'est cette interrogation qui pointe sous le crâne, et qui permet de mieux comprendre.


Car l'enjeu est là : comprendre.


L'avocat de la terreur permet de comprendre - entre autres - le terrorisme(1). Que l'on pense à la naissance des camps d'entraînement, aujourd'hui utilisés par les terroristes qui nous frappent, premièrement créés dans le but d'entraîner des groupes minoritaires et révolutionnaires à se défendre contre l'oppression (comme les groupes palestiniens soucieux de se défendre contre les assauts israéliens, etc.).


Voilà un autre double fond, qui n'est pas sans me rappeler ce débat avec un de mes amis : lui considérait les palestiniens comme des terroristes, et moi, comme des résistants sous une occupation (2). Deux points de vues différents, et aucun qui n'écrase l'autre, puisqu'il s'agit de deux perceptions cohérentes d'une même réalité, soucieuses de se compléter pour affiner ces points de vues.


On apprend, aussi, que le procès de Klaus Barbie fut l'occasion, pour Vergès, de renvoyer à la France les horreurs commises par ses officiers lors de la guerre d'Algérie (entre autres). La colonisation est une occupation ; voilà un point de vue qu'il défend, et qui, mine de rien, change toute la donne.


Car l'idée, c'est d'accepter de basculer, d'admettre que son point de vue n'est pas établi, pas fini, qu'il faut qu'il soit plus précis, et qu'il accepte la confrontation pour mûrir.


Putain, c'est ça, l'intelligence : ne pas s'endormir, ne pas être convaincu.


Bref, voilà le genre de réflexions qui naîtront dans votre esprit, après avoir visionné L'avocat de la terreur.


(1) Pour les plus curieux, l'émission d'Arte Le dessous des cartes achèvera ce travail de compréhension.
(2) Ceci n'est qu'un point de vue.

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le 13 juin 2017

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