Tout dans la vie semble opposer Ella et John. Lui, universitaire en retraite, stoïque, docteur ès Hemingway, qui aime les hamburgers. Elle coquette et vive, adepte des plaisirs de la vie et qui aime converser avec tout le monde. Pourtant, cela fait plus de cinquante ans que ce couple traverse la vie main dans la main, bénéficiant d'un certain confort (celui de la middle class). Une seule explication à cela, cet Amour indéfectible, incontournable, indétrônable, et incroyable qui les unit. Cet Amour qui se traduit au quotidien par de banals petites précautions, par des gestes dont on sait que l'autre sera réceptif, par une affection si complice qu'elle les fait se compléter et d'un désir qui ne s'est jamais totalement éteint. Les années ont passé et pourtant John voit toujours sa femme comme au début de leur rencontre, tout comme elle est séduite par son éternelle bienveillance et cette érudition qu'il garde modeste.


Bien sur depuis quelques temps John décroche un peu... sa vie se confond alors avec celles des personnages de son auteur favori, ou recompose un passé dont on imagine qu'il a été plus que mémorable. Mais Ella est là. Elle est l'étoupe colmatant les brèches et contrôle ainsi son naufrage prévisible. Pour combien de temps ? D'autant plus qu'Ella est elle même touchée par une autre maladie, plus viscérale qui ne fait que consumer son corps petit à petit. A la veille d'une opération, Ella décide de retrouver avec son John, les routes de l'insouciance, empruntées jadis quand ils partaient en vacances. Ultime échappatoire qui les mènera, avec leur Winnebago Brave (camping car de 1975 dans son jus), dieu sait où. Un esprit de liberté conditionnelle, s'empare alors d'eux...


En s'expatriant de Livourne, pour tourner aux Etats-Unis, Paolo Virzi ne réussit pas totalement à convaincre sur la teneur de son film. La forte accentuation sentimentale du scénario (très anglo-saxonne) en est sans doute l'une des clés des réponses. Nous sommes ici en effet très loin de ce cinéma tonitruant et acerbe que l'on retrouve notamment dans ses deux derniers films, l'astucieux "Les opportunistes", ou cet autre road movie totalement déjanté "Folle de joie". Il manque ici une grande partie de l'âme du réalisateur, heureusement le savoir faire, lui, est toujours opérationnel. Pour pimenter cette histoire et la rendre un peu plus "sacrilège", nombre de péripéties absurdes et délirantes ont été imaginées. Le film a été tourné en pleine campagne Trumpienne ce qui pouvait représenter un réel atout scénaristique. Au final, Virzy s'en tient au stade de l'intention. Pour Trump, il se contente juste d'y intégrer une scène mais sans réelle signification, et le reste des autres scènes, dont une ou deux assez maladroites, s'enchaînent de manière trop linéaires.


Il faut dire que le sujet (le fin de vie au niveau d'un couple) est un peu casse-gueule mais n'a pourtant rebuté que peu de réalisateurs, tant il a été traité. On pense bien évidemment à "Amour" d'Haneke, profondément douloureux car placé au niveau l'isolement entre souffrance physique (la perte de soi) et morale (la séparation) de la maladie. Côté Hollywood, "That's life" de Blake Edwards (avec une Julie Andrews méconnaissable) apporte une vision sincère, nettement moins aride, mais terriblement dilatatoire des glandes lacrymales en matière de bons gros sentiments.


"L'échappée belle" se situe entre les deux. De cet apprentissage de la mort, Virzy nous livre toute la noblesse de l'entraide, la légèreté des quelques beaux moments de paix, mais aussi l'évidente amertume de la situation. Ce qui pour le moins est déjà appréciable.


On le voit, si la critique sociale ici pêche un peu par manque d'ambition, le film décolle quand il s'agit de faire vivre Ella et John, cette entité amoureuse pour toujours et à jamais. Et apparaît sous nos yeux un couple déjà mythique : Helen Mirren et Donald Sutherland.


On connaît le sort que leur réserve la vie et pourtant, on aimerait que ce périple dure encore et encore, autant pour eux que pour nous tant ils sont attachants. Hellen Mirren dont on ne se lasse pas de dire qu'elle est extraordinaire, ne faillit pas à sa réputation, le personnage d'Ella est un chêne, solide et déterminé. Elle lui apporte une subtile fragilité, et de fait une belle humanité. John est le roseau, sa vie se balance au gré des pics de vent de sa mémoire. Et c'est là où l'on se dit que Daniel Sutherland est un immense acteur que les années 80 ont laissé malencontreusement sur le carreau. Il retrouve ici son niveau de jeu du premier film de Redford "Des gens comme les autres" ou encore de "Klute". En une fraction de seconde, il passe d'une phase à l'autre de John, se transformant non seulement dans l'attitude, mais également physiquement. C'est impressionnant.


Il y a deux ans, sortait en janvier un film qui traitait également de la longévité du couple, épargné lui par la maladie. C'était "45 ans" avec Charlotte Rampling et Tom Courtenay, oeuvre magistrale à tout niveau qui glaçait l'échine par sa dureté. Paolo Virzy se veut plus langoureux... A Ella et John "il a fallu bien du talent, pour être vieux sans être adultes", il a fallu également bien du courage pour en arriver à cette ultime preuve d'Amour.

Fritz_Langueur
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le 16 janv. 2018

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Fritz Langueur

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