Avec L’ECHELLE DE JACOB, on touche à une sorte de cauchemar que peu de films ont réussi à aussi bien maîtriser. Underground, toujours à la frontière du propos politique, sans espoirs, L'ÉCHELLE DE JACOB est une plongée sans concession dans l'horreur, réussissant haut la main là où HELLRAISER 5 échouait.

Il est vraiment rare d'être confronté à un film aussi obsédant et aussi manipulateur, car si il pose toujours des contextes très précis (il façonne parfaitement ses personnages malgré la narration très aléatoire du film), il les fait toujours évoluer vers des ambiances malsaines, infernales, et tant ainsi à rejoindre le cinéma Lynchien en utilisant un imaginaire rappelant PINK FLOYD'S THE WALL (essentiellement pour les visages aux traits effacés). Chaotique, le film l'est sur bien des aspects, puisqu'à chaque fois qu'il commence une nouvelle étape de son récit, il brouille un peu plus nos repères, nous faisant évoluer constamment dans un inconnu agressif, où la menace est invisible, mais qui s'incarne toujours peu à peu pour nous livrer de véritables visions cauchemardesque (la séquence de la soirée est l'une des plus marquante, où un monstre reptilien apparaît carrément au milieu du piste de danse pour "posséder" la femme de Singer). Pourtant, le film commence par une escarmouche au Viet Nam, montrant notre personnage principal subir un assaut des viet congs alors que la moitié des hommes sont en train de péter un câble. Une scène de folie qui rappelle immédiatement APOCALYPSE NOW, sans la gradation dans la folie (ici, elle est directement balancée à la face du spectateur). Alors que l'horreur est ici bien réelle (et complètement réaliste), on retrouve notre personnage de retour au pays (il y a une absence totale de repères temporels, un façon pour le film de brouiller davantage les pistes). Il s'est remarié, son ancienne femme l'a quitté suite à la mort de leur enfant. Et c'est pendant son travail que des visions commencent à l'assaillir. Après une troublante expérience dans le métro (pure vision d'angoisse) et de mystérieux poursuivants aux traits effacés, notre personnage est de plus en plus ébranlé sur sa santé mentale. On suit alors son quotidien, qui se révèle de plus en plus altéré, et régulièrement traversé d'ellipses qui viennent morceler la trame et semer le doute. L’ECHELLE DE JACOB n'a rien d'un film linéaire, il fragmente pour mieux nous perdre au milieu des morceaux de son histoire.

Le médecin de Singer (seul personnage toujours vu positivement, veuillez noter le grand nombre de plan qui le filment en contrejour d'une source lumineuse façon ange) disparaît du jour au lendemain, son entourage devient menaçant (sa femme prend les traits d'un démon, le plonge dans un bain de glace pour faire baisser une fièvre (en ayant l'air de l'aider, elle semble aggraver volontairement la situation)...), et il est de plus en plus convaincu que quelque chose s'est passé pendant son service au Viet Nam. Retrouvant alors ses anciens frères d'armes, il tente de lancer une enquête pour confirmer ses soupçons. Et le cauchemar prend un nouveau tournant. Il devient juridique (tous les hommes de lois se retournent brutalement contre Singer), et affectifs (tous les anciens du front disparaissent ou le méprisent). Le cauchemar évolue sans cesse, et il faudra attendre la toute fin pour avoir une piste pour rationaliser tout ce que l'on vient de voir. Mais l'ambigüité de la narration est sans cesse entretenu par la récurrence des visions du Viet Nam qui montrent Singer en pleine agonie (Hm hmm... Non, ce n'est pas aussi simple) et l'intervention de flash back assez bien pensés viennent densifier cette histoire et donner de l'épaisseur à tous ses personnages, et plus particulièrement à Jacob Singer (Tim Robbins tient là sa meilleure performance avec MYSTIC RIVER), avec qui nous traverseront cet épouvantable quotidien, empli de folie et à la lisière d'une dénonciation tardive du conflit (mais le film n'est clairement pas axé politique, il prend le contexte pour mieux planter ses ambiances de folie envahissante...).

Un cauchemar qu'on associe vite à une sorte de purgatoire, sans pour autant céder complètement à un discours religieux. Les symboles sont là, mais jamais le film ne prend un ton prosélyte, et d'ailleurs, le personnage principal n'affiche pas de croyances particulières (il se documente simplement sur des démons). Cette explication un peu basique, permet surtout d'expliquer la narration éclatée du film, confondant les souvenirs et les épreuves jusqu'à ce que ses proches viennent le guider en dehors de son enfer (avec montée d'un escalier vers une lumière aveuglante). Si l'explication est là et a contribué à l'intérêt qu'on a accordé à cette œuvre hors norme, je la trouve un peu rapide, le film étant pour moi une série d'hallucinations d'un homme à l'agonie, que la vie abandonne et toutes les angoisses qui en naissent. Mais un soupçon de mysticisme pour faire gonfler le tout ne peut pas faire de mal. Un chef d'œuvre à part entière, aussi touchant que déstabilisant, toujours cité comme référence d’un petit jeu vidéo prénommé SILENT HILL...
Voracinéphile
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le 23 sept. 2013

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Voracinéphile

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