L'Écume des jours par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Dans les années 1970, Colin est un jeune homme bien éloigné du monde du travail, profitant de son oisiveté pour croquer la vie à pleines dents. Il vit à Paris dans un curieux appartement relié à un autre immeuble par une passerelle semblable à un ancien wagon de métro. Colin s'est adjoint Nicolas, un maître d'hôtel discret, fidèle et stylé. Il y a également Click, son meilleur copain, vouant une passion débordante pour le philosophe Jean-Sol Partre, et qui hante continuellement les lieux. Il suffit qu'un jour, à l'occasion d'une fête, Colin fasse la connaissance de la belle Chloé pour vivre le grand amour au point de se marier avec elle. Malheureusement la pauvre jeune femme va brusquement être atteinte d'une curieuse maladie: un nénuphar se développe dans l'un de ses poumons. Le traitement pouvant maintenir en vie Chloé est très onéreux et Colin va devoir travailler très dur afin de payer les médecins et les médicament prescrits à la jeune femme...


Malgré une entame très guillerette et fantaisiste, cette histoire va nous conter au travers de la maladie de Chloé la dégénérescence d'une société insouciante et privilégiée. Lorsque la mer se retire, reste l'écume qui se désagrège petit à petit comme une vie emplie de souffrances, une société à la dérive. Cette transformation est lente, personne ne peut imaginer que le pire puisse arriver. Tout ce monde se déglingue mais l'espoir tente de résister au cataclysme. Chloé représente cette société atteinte d'un mal irréversible plongeant dans le marasme l'humanité entière. La liberté, les ressources et par là-même les contacts humains se rétrécissent, engloutis par la répression, par la dégradation des conditions de travail et par la censure de la culture, essence même de notre civilisation. Toutes les classes de cette société privilégiée avide de moments festifs, de gadgets et aux ressources solides ne peuvent échapper à l'état de santé de ce monde en péril dont la jeune femme est le symbole. La lumière majestueuse s'obscurcit doucement, imperceptiblement pour finir par atteindre l'obscurité. Les murs représentant la liberté rétrécissent au rythme de la lumière, finissant par écraser le monde. La vision est ici pessimiste mais très pertinente. La joie, les privilèges ne sont que momentanés ici bas. Même la culture, la liberté de penser, de s'exprimer est étroitement surveillée et aléatoire, sachons en profiter.


Il faut reconnaître que j'étais quelque peu méfiant avant de voir cette adaptation de l'inoubliable roman de Boris Vian. En effet la fantaisie des personnages, l'environnement imaginaire et inventif de l'auteur n'ont rien d'évident pour être portés à l'écran. J'avoue que j'avais tort. Le réalisateur Michel Gondry nous fait un très joli cadeau en ne trahissant jamais l'univers très imaginatif de Boris Vian. Nous vivons l'insouciance des personnages dans leur appartement au sein duquel trône l'indispensable " pianocktail " un ami familier et indispensable. D'autres objets usuels sont décrits comme munis d'un vif instinct qui les amènent à obéir à la demande et forment une totale osmose avec les humains. Une curieuse petite "souris humaine" livre ses réflexions en se faufilant dans les dédales de l'appartement, le réalisateur ayant recours au procédé de la "fantasmagorie" lui permettant de mieux analyser les événements entre autres l'évolution de ce fameux nénuphar. La descente vers la décrépitude est traitée avec beaucoup de tact et de noirceur. Les murs pourrissent, rétrécissent, les personnages s'éloignent les uns des autres jusqu'à cette fin irrémédiable. Michel Gondry nous laisse errer entre rêve et cauchemar dans une vision anticonformiste et tragique de la société. Boris Vian n'a pas été trahi.
Les acteurs entrent bien dans ce style si particulier de l'écrivain. Romain Duris dans le rôle de Colin est impeccable tout comme Gad Elmaleh, Click le copain de toujours. Omar Sy en très bon maître d'hôtel. Audrey Tautou, malgré ses grandes qualités, manque peut-être de force dramatique ce qui rend la fin du film un peu moins émouvante que celle du livre.


A mon avis, si vous avez aimé le roman, s'il vous a captivé, bouleversé, n'ayez pas peur d'aller voir la version cinéma. Vous ne serez pas déçus. Il est certain que le cinéma a souvent du mal à faire ressortir les points forts et la sensibilité d'un livre. Et si la conception de l'intrigue n'est pas tout à fait la même, ceci est secondaire car la philosophie qui s'en dégage l'emporte largement. J'ai adoré le roman et j'ai beaucoup aimé le film.


Ma Note: 8/10

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le 6 janv. 2016

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