Avant - Après

D'ordinaire les films de Chaplin ont la particularité de traverser le temps tout en restant toujours contemporains, modernes, tout en interrogeant toujours notre rapport à l'époque actuelle. Des Temps Modernes à Behind the Screen (Charlot machiniste), on retrouve chaque fois de ces détails qui nous rappellent à notre propre réalité quotidienne.
Ça n'est pas le cas de The Immigrant, L’Émigrant, qui à l'inverse témoigne des changements drastiques que notre monde a également connu.

Cette fois, Charlot est sur un bateau, direction les États-Unis et le rêve américain. A leur arrivée aux pieds de la statue de la liberté, les nombreux émigrants de Chaplin sont autorisés à descendre, un à un, sans que cela ne pose davantage de problèmes. Il s'agissait évidemment d'une époque où les villes en pleine expansion avaient besoin de la main d’œuvre bon marché que représentait ces nouveaux arrivants. La situation a bien changé, les émigrants sont toujours exploités quand nécessaires mais la situation meilleure promise à l'époque ne fait absolument plus parti du programme aujourd'hui.
Plus tard il lui suffit de trouver une pièce au sol pour pouvoir se payer un repas. Là encore, la plus grosse pièce en circulation ne permettrait pas de faire un repas complet dans un restaurant de nos jours. Et visiblement, on en revient au travail et au besoin de main d’œuvre, il suffit à Charlot et à sa Dame d'attendre en mangeant pour qu'un emploi leur soit proposé, qu'une avance leur soit faite et que leur avenir soit a priori assuré. Merveilleuse utopie que celle de ces quelques années dont on montre quelques aspects négatifs pour mieux être rassurés par les positifs.

Enfin, et c'est cet aspect qui je l'espère ne passerait plus du tout aujourd'hui, la dernière scène est tout à fait intéressante. Passant devant une boutique scandant "Marriage Licences", Charlot force la jeune immigrante à entrer dedans avec lui.
Certes ils flirtaient, certes elle semblait charmée, certes. Mais voilà bien un exemple de quelque chose qui a largement changé et à propos de laquelle je suis absolument ravie : bien sûr le mariage forcé existe toujours mais dans des conditions bien plus exceptionnelles que celles présentées dans ce film. Cette scène m'a quelque peu dérangée. Bien sûr je ne sais rien de la logique de l'époque, bien sûr on ne sait pas ce qui se passe ensuite dans cette boutique, bien sûr. Cela reste cependant très troublant et je suis heureuse que ma voix de femme ait aujourd'hui davantage le potentiel d'être entendue qu'à cette époque, qu'elle ait le potentiel d'avoir la même résonance que celle d'un homme. Même si, restons réalistes, cette égalité reste très théorique encore aujourd'hui.

En somme un bon Chaplin, souvent drôle, parfois touchant et poussant évidemment à réfléchir au delà des gags potaches qui pourtant toujours nous mettent de bonne humeur.