La perle noire de la saga
Autant commencer par noter le meilleur épisode de la saga.
Parce qu'au-delà d'un divertissement, de la fresque de science-fiction, du film d'aventures, L'empire contre-attaque est aussi un bon film, au sens cinématographique.
Entre deux tambours battants, l'aventure sait prendre son temps, poser ses jalons, et créer des ambiances avec les moyens techniques limités qu'étaient alors les siens.
Mais à l'heure où l'on privilégie le numérique au risque du factice, comment ne pas préférer les décors naturels ou ceux qu'on fignole artisanalement pour créer un univers soigné, les marionnettes ingénieusement maniés (je parle du personnage de Yoda, infiniment plus réaliste, intéressant, drôle et vivant dans sa version "bout de ficelle"). Certes, au niveau des scènes d'action dans l'espace et des vues d'ensemble de vaisseaux ou de bâtiments, le film expose son âge au regard de la nouvelle trilogie, dévoilant ses trucs éculés et ses effets spéciaux dépassés. Vintage, pas repoussants, mais moins fluides et immersifs, je l'accorde.
Mais pour le reste, l'ingéniosité comme cache-misère fait souvent des merveilles, des effets sonores impérissables (Ben Burtt est devenu LA star des stars en la matière, et l'est encore aujourd'hui) aux costumes bricolés. C'était une autre manière de penser l'action, imposer un style et un rythme avant d'en mettre plein les yeux (on peut encore travailler de cette manière de nos jours, mais cela n'a pas été le cas pour la trilogie plus récente).
Et c'est au service d'une histoire très écrite, aux dialogues savoureux. Le souffle épique vient de la subtilité.
La romance refuse la guimauve et le romantisme classique pour présenter des personnages forts, orgueilleux, s'aimant dans la mauvaise humeur (Et puis le "I love you"-"I know" n'a pas de prix).
L'initiation dans les marécages poisseux aurait pu virer aux discours pompeux et kitschs sur la Force s'ils s'étaient trop pris au sérieux. Non, le "maître" est un nain grabataire, chapardeur, qui fouille les affaires de son futur élève comme un chien affamé, donne des coups de bâtons dérisoires à un robot, et fait cuire des racines dans une termitière agrandie. Ses conseils et ses paroles sont réduits à l'essence, les scènes prennent une intensité assez grandiose, poétique même lorsqu'on évoque le côte obscur, la Force ou qu'on utilise ce pouvoir pour redonner la foi à l'élève buté. L'humour parsemé, aux dépens de la rigueur du maître contrarié, achève de donner du poids à ces instants, par la distance. Point d'orgue, la grotte où l'on se rencontre soi-même dans ses peurs, le combat ultime contre la raison, un instant intérieur et presque philosophique inattendu dans une telle production (là aussi, le dépouillement technique dû à la débrouille forcée donne tout son caractère à la scène).
Ajoutez à cela une bataille inaugurale originale, dans les champs de neige, un fourmillement de péripéties (le "yéti", le ver géant d'astéroïde, la traîtrise dans la cité des nuages, le tas de cadavres d'officiers laissés par Dark Vador qui prend toute son ampleur de méchant inoubliable...), un duel au sabre captivant dans sa mise en scène, ses dialogues, et ses rebondissements (les chorégraphies de combat ont été nettement améliorées depuis l'épisode précédent), une révélation qui a laissé son empreinte dans l'inconscient collectif, des poignants appels au secours télépathiques, et la musique incroyable de John Williams qui inaugure dans cet épisode sa virtuose Marche Impériale, vous obtenez, plein de noirceur et de maîtrise, la plus grande réussite de ces six films pas comme les autres.