L'enfance nue, c'est l'enfance sans fioritures, qui se tient dans toute sa vérité. Nue, sur la table, comme posée sur le monde, elle écorche la vie jusqu'à la mordre, la rejeter.
L'enfance nue est sans compréhension aux yeux du monde. Délaissée, elle erre, seule, et jamais on ne la comprend.
Délaissée, elle vrille, titube, broie le sol de ses pas d'enfants. Elle ne sourit pas, jamais. Elle existe pourtant, tout en furtivité, dans l'ombre.


L'enfance nue c'est le désespoir délaissé dans l'ombre, au plus profond de l'inconscient. C'est l'intériorité d'un enfant de dix ans, qui ne sait pas être, parce que malgré toute l'importance qu'on aimerait lui accorder, il ne vit pas. Tout simplement car il demeure, seul, abandonné des autres, et de lui-même.


L'enfance nue, c'est une enfance déchue, qui vit dans un monde où les adultes prennent toute la place. Lui, de place, il n'en a aucune place. Rien, dans un monde où les enfants errent, seuls, abandonnés, alors ils volent, fument des cigarettes en cachette, s'amusent à jeter des pierres sur les voitures. C'est Les 400 coups où les grandes personnes tentent d'apprivoiser une enfance qui leur échappe.


L'enfance nue, c'est surtout une vérité presque documentaire dans un film de Pialat, où la question de la véracité de l'existence occupe toute la place. Parce que Pialat ne met pas en scène. Il filme. Il montre à voir, une existence qui s'avère documentaire, un monde qui s'avère simplement à l'état naturel. A l'état brut. L'enfance nue, c'est une enfance où l'écorchure est à fleur de peau, où l'absence d'un vide au milieu du ventre, provoque la destruction.


Car l'enfance nue, ce n'est rien d'autre que cette enfance qui n'a plus de rêves, car délaissée dès sa naissance, par des parents qui jamais n'ont été présents au monde. Alors abandonnée, elle erre, sans que le spectateur ne sache pourquoi. Mais il n'y a pas besoin de mots pour comprendre, il n'y a jamais eu besoin de paroles pour entendre, et Maurice Pialat le sait. Alors il laisse faire. Il laisse les choses vivre à leur guise, les individus s'agiter, les êtres avancer.


L'enfance nue, c'est la nudité du réel. Dans tout ce qu'il a de plus simple, de plus pur, de plus brut, de plus démuni, de plus nu, de plus pauvre. C'est un regard sur le monde qui s'avère bouillonnant de sincérité, de justesse, de vérité. Le regard sur chaque individualité qui entoure l'enfance nue, qui s'échine à se défaire alors même qu'on aimerait la prendre dans ses bras, lui porter de l'affection. Mais d'affection, l'enfance n'en a pas. Elle est nue, entièrement nue, démunie des lambeaux d'écorches, le revêtement d'une peau comme seul parement.
L'enfance, c'est le désespoir qui crie à l'intérieur, qui martèle les peaux, qui injure l'univers, l'enfer.


L'enfance nue, c'est le cri du monde, enfermé dans l'abandon d'une vie.
C'est la nudité du réel, dans son plus simple appareillage. Voilà ce qu'est L'enfance nue, ce film de Maurice Pialat qui ne se préoccupe de rien d'autre que d'apporter une vérité du réel, une justesse de l'existence, une déchirure dans le naturel d'un jeu d'acteur.


Parce que tout bouillonne d'un réel qui n'appartient plus au temps présent. C'est le témoignage de l'existence 1968, une fresque sociologique de vie, où les langages, les postures, servent comme une étude aux choses, sans parti pris. C'est un regard qui s'étend sur la globalité de l'existence, dans ce qu'elle a de plus tristement banale. L'enfance nue, plus nue que jamais.


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le 22 juin 2016

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Lunette

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