Vous les femmes, vous mon drame, vous si douces, vous la source de nos larmes.


-Le shérif va arriver. Nous n'avons pas fini de les enterrer.
-Mais Granny...
-Nous devons finir l'enterrement. Ces hommes étaient mauvais. Et leur mal nous a souillés. Ce n'est peut-être pas à nous de juger. Nous aussi nous avons péché. Que Dieu ait pitié de nous autant que d'eux. Qu'il nous délivre du mal et de la haine. Amen.



L'Énigme du Lac noir de son titre original The Secret of Convict Lake est un western cérébral réellement surprenant dans sa conduite, s'avérant être un habile mélange de western et de film noir laissant la vedette à de simples femmes au foyer contre des criminels évadés de prison. Réalisé par Michael Gordon (One dangerous night, Crime doctor, Cyrano de Bergerac, An act of murder, The Web, Texas nous voilà, Confidences sur l'oreiller...) un cinéaste que j'aime beaucoup ayant eu peu de chance dans sa carrière étant banni du cinéma pendant environ 9 ans après la sortie de ce film et malgré le succès de ses réalisations. Citer sur la fameuse liste noire d'Hollywood pour avoir une sensibilité politique de gauche, ce qui à l'époque du sénateur Joseph McCarthy était suffisant pour y figurer.


Avec ce long-métrage Michael Gordon présente une oeuvre en noir et blanc peu connue et pourtant insolite méritant clairement le détour pour son originalité. Un thriller psychologique au suspense inquiétant présentant un cadre particulièrement soigné et préoccupant dans une atmosphère de huis-clos au milieu de la neige pendant une tempête efficace durant sa première moitié. La réalisation est superbe, faisant preuve d'efficacité dans certains plans grâce à la somptueuse photographie de Leo Tover amenant toujours plus d'identité aux décors. La mise en scène du cinéaste est soignée jouant une pièce maîtresse dans la contextualisation de son cadre par ses éclairages. Des paysages obscurs et étouffants intelligemment intégrés à l'histoire, conférant un environnement intimidant dans son ossature compacte pour son récit tiré d'événements réels. Une ambiance en partie maîtrisée améliorée par la composition brillante de Sol Kaplan, qui livre une partition musicale qui fait mouche.


Le sujet est intéressant, la symbolique se trouve dans la réaction des femmes sans hommes d'un village perdu dans les montagnes livrées à elle-même contre 5 criminels. Toutes les interactions entre les différents protagonistes s'avèrent étonnamment efficaces. Aucun trou dans la narration, chacun à sa place avec des caractères bien définis venant alimenter les différentes séquences en péripéties. Les femmes sont captivantes, loin d'être idiotes, loin d'être crédules, loin d'être marinées à l'eau de rose. Leur approche est faite avec sérieux et soin, on y croit. Les criminels réussissent à être suffisamment inquiétants pour constituer une sérieuse menace et suffisamment déboussolés devant l'incrédulité de se retrouver démunis contre des femmes qui ne se laissent pas faire. Une véritable richesse dans l'écriture des personnages.


Trois relations viennent à se démarquer durablement dans le récit avec pertinence, entre Glenn Ford et Gene Tierney, Zachary Scott et Ann Dvorak et surtout Ethel Barrymore la matriarche avec les autres femmes. Les trois relations entretiennent la tension du récit avec plusieurs sujets aussi intriguants que pertinents, tels que : le pardon, la vengeance, la frustration sexuelle, la féminité des femmes, et l'acceptation.
Glenn Ford (Le Souffle de la violence, Le déserteur de fort Alamo) est très bon dans un rôle moins héroïque qu'à son habitude même si le héros n'est jamais loin quoiqu'il soit un criminel.
Gene Tierney (Laura, L'aventure de Mme Muir) est radieuse en femme forte cherchant désespérément un cadre où se poser.
Zachary Scott (Eternel tourment, L'Infidèle) avec son sourire malicieux est parfait en gros pourri prêt à tout pour atteindre son objectif.
Ann Dvorak (Scarface, Les Hors-la-loi) est toujours surprenante pour malheureusement son dernier rôle au cinéma. La comédienne tire extraordinairement bien son épingle du jeu, dans un rôle particulièrement nuancé, par lequel elle présente bon nombre de subtilités assez osées pour l'époque. Une prestation remarquable que je tiens à saluer.
Vient enfin la formidable matriarche et âgée Ethel Barrymore (Le fils du pendu, Deux mains la nuit) une comédienne que j'affectionne particulièrement qui ici amène beaucoup de fraîcheur au récit en posant son rôle de chef téméraire et intelligente du groupe.


La seconde moitié du film bien que toujours aussi intéressante perd malheureusement un peu de sa superbe puisque le cadre de huis-clos laisse place à une atmosphère plus ordinaire. C'est dommage, néanmoins le récit continue d'amener son habile lot d'actions et d'intrigues. En cela, ne comptez pas voir un western pur et dur où les échanges de coups de feu sont monnaie courante. L'approche est beaucoup plus fine même si certaines scènes ne manquent pas de piquant (de fourches).


Plusieurs séquences sont réalisées de main de maître comme : "" l'inquiétante scène d'ouverture avec son trekking sur une montagne neigeuse en pleine tempête amenant la découverte du village, l'attaque au couteau du psychopathe sur la jeune femme, la séquence de l'incendie dans la grange où Ann Dvorak perd tous ses moyens dans un haletant instant de suspense tumultueux à la mise en scène horrifique, et la séquence finale sur l'enterrement hautement dramatique bourré de sens."" D'autres instants de grâce sont à découvrir, mais je laisse ceci à vos soins en visionnant le film.


CONCLUSION :


L'Énigme du Lac noir est une étonnante surprise présentant un western pour le moins atypique et original. Michael Gordon livre une petite pépite, dirigeant avec dextérité les acteurs incarnant des personnages soignés, pour toujours plus de qualité. Que ce soit l'ambiance huis-clos, les superbes et inquiétants paysages, la mise en scène travaillée de certaines séquences captivantes, rien n'est laissé au hasard. Un film peu connu qui mérite clairement de sortir de l'ombre.


Si l'ambiance remarquablement soignée du huis-clos avait perduré tout du long, je lui aurais conféré sans problème un 10. En attendant force est de constater que je n'ai que des bons points à remonter pour autant d'originalité, ne me laissant d'autres choix que de lui adjuger un 9 bien mérité.



-Vous pouvez rester ici avec vos amis. On vous donnera à manger et un coin pour dormir. Jusqu'à la fin de la tempête. Après, vous partirez.
-On ne veut rien d'autre.
-Pendant ce temps, vous vous tiendrez à l'écart. Vous comprenez? Sinon... nous vous ferons sauter la cervelle.
-Ca me paraît honnête, madame.
-Nous avons nos armes pour s'en assurer. Ce qui n'est pas votre cas. Sinon, nous le saurions déjà.


B_Jérémy
9
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le 27 déc. 2019

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