1. Le plaisir des yeux
Qu'on aime ou pas les films de Brian De Palma, on peut s'accorder sur le fait que notre homme soigne toujours sa réalisation, peu importe la qualité du scénario.
La preuve par l'Esprit de Caïn, où De Palma maintient l'élégance visuelle qui a fait sa renommée. Plans-séquence, lumière, cadrages, mouvements de caméra... De Palma use, comme à son habitude, de toute la palette d'expressions offerte par le cinéma pour mettre en valeur son histoire. La musicalité de sa mise en scène est telle qu'elle semble avoir été pensée pour la musique de Pino Donnaggio.
Cette cohérence visuelle fait le sel particulier de l'Esprit de Cain.
Preuve en est de ce long plan-séquence où le docteur Waldheim déballe son baratin psychologique à deux policiers qui s'en moquent plus qu'autre chose. Le moment de bravoure réside dans la performance visuelle de la séquence où, durant 4 minutes et quelques secondes, la caméra de De Palma va suivre nos trois personnages dans les méandres du commissariat, de l'étage à la morgue, des escaliers à l'ascenseur de service, le tout sans aucune coupe.
Finalement, les policiers, le spectateur et De Palma se fichent pas mal du monologue du docteur Waldheim. On prend donc plus de plaisir à admirer la virtuosité de la séquence qu'à écouter le long monologue du personnage.
Un véritable plaisir visuel pour le spectateur et la preuve que l'on peut transcender une séquence peu excitante sur le papier par le langage cinématographique.
2. John Lithgow et ses multiples personnalités
Le second point marquant de l'Esprit de Caïn, c'est son acteur principal : John Lithgow.
Incarnant le bad guy de deux thrillers majeurs de De Palma (Obsession et Blow Out), l'acteur américain est amené à interpréter les différentes personnalités du Dr Carter Nix : Caïn, son double malfaisant, le père de Carter, et même Carter enfant !
Cela donne lieu à un véritable show où on sent le plaisir qu'a Lithgow de se livrer à un cabotinage des plus savoureux, qui donne toute sa cohérence à la folie de l'Esprit de Caïn. Tel un double du cinéaste, John Lithgow joue sur le fil du rasoir en tant qu'acteur comme le fait De Palma en tant que réalisateur.
3. Auto-parodie et expérimentation
Sûrement échaudé par ses derniers échecs critiques et commerciaux (Outrages et Le Bûcher des Vanités), De Palma a décidé de revenir à ce qui a fait son succès dans les années 70/80 : le thriller sous influences hitchcockiennes. À la différence près que le réalisateur va pervertir son style et procéder, consciemment ou non, à une parodie de lui-même.
Au-delà de son style visuel et du jeu surréaliste de John Lithgow, De Palma nous livre un film outrancier où il va faire le funambule en alternant romantisme exacerbé, voir désuet, et passages humoristiques.
De Palma voulait bousculer les formes narratives classiques avec l'Esprit de Caïn. L'occasion pour lui de retrouver ses talents de manipulateur en télescopant des sous-intrigues et jouant sur les fausses pistes égrenées le long de ce scénario qui renoue avec la folie de ses thrillers des années 70/80.
Mêlant rêve et réalité via de multiples flash-back, le réalisateur va jouer sur les attentes du spectateur et lui faire perdre ses repères le temps d'une longue séquence où ce dernier ne peut s’empêcher d'interroger ce qu'il regarde.
Cette volonté de bousculer le spectateur et de maintenir son attention est l'un des principaux objectifs du cinéma de De Palma qui, parodique ou non, ne peut s'empêcher de garder son spectateur actif plutôt que passif.
L'Esprit de Caïn, par ses excès, sa folie et sa singularité, constitue un bel exemple du credo artistique de Brian De Palma.