C'est pas un lampadaire parmi d'autres.

Les ados de L'Esquive gardent une certaine part d'innocence, - contrairement à La Haine, dont le désenchantement notable a fait grand bruit -, ils n'ont pas conscience des difficultés que le monde des grands leur réserve. Ici, nulle revendication explicite : la té-ci n'est pas encore un enjeu en soi, c'est plus une toile de fond, inhérente au quotidien de chaque personnage. Ils l'acceptent comme telle, ils sont là, pas le choix. L'emploi d'un vocabulaire assez détonant et l'impression d'agressivité (surtout notable chez les personnages féminins du film, d'ailleurs, c'est ce qui m'a le plus marqué. Et c'est pas pour rien que Sara Forestier, Lydia, a obtenu le césar du meilleur espoir féminin), qui en résulte pour les autres exposent très justement les codes d'une communauté trop souvent réduite au cliché de la violence et du racket. Là, on est servi avec La Haine.

Le réalisateur soutient habilement et avec un didactisme plutôt remarquable l'idée selon laquelle la banlieue peut être autre chose qu'un cliché constamment rabattu par les médias. Le cadre de vie n'y est soudainement plus synonyme de fatalité, les jeunes se retrouvent dans une arène qui n'est certainement pas choisie au hasard, et pour travailler sur du théâtre, en plus (le pire du pire quoi !). Et pourtant, lorsqu'une bande de policiers intervient, soupçonnant le groupe d'adolescents d'un quelconque trafic, leur dignité, subtil mélange d'espoir et de volonté, se retrouve sérieusement menacée. Là, on retrouve la Té-ci : tutoiement abusif, agressivité physique totalement injustifiée, racisme ordinaire d'une bande de déjantés, les préjugés s'en retrouvent sérieusement contrariés car sous prétexte de ne pas avoir la bonne couleur de peau ou de ne pas pouvoir vivre ailleurs, ces jeunes sont les réelles victimes d'un racket moral. Fuck off la police, sérieux.

Après l'avoir vu, je me suis découvert une nouvelle maturité, celle d'une prise de conscience douloureuse vis-à-vis d'une société réticente à les accepter comme tels (ouais, j'entamais ma treizième année, j'approuvais les préjugés, là) se lit sur les visages de ces nouveaux comédiens en plein exercice théâtral. Sur l'étui : "Une bouleversante osmose emplit alors les dernières scènes de ce film d'une troublante sincérité dont on n'a manifestement pas fini d'entendre parler." Je confirme.
ahlasuze
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le 4 juil. 2011

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