Abdelkrim,dit Krimo,ado renfermé de la cité des Francs Moisins à Saint-Denis,s'empare du rôle d'Arlequin dans "Le jeu de l'amour et du hasard",pièce que répètent des camarades de son lycée,dans l'unique but de se rapprocher de Lydia,vedette féminine de la troupe dont il tombe amoureux.Pas de quoi fouetter un chat,et pourtant cette décision va provoquer un vrai ramdam dans la téci,la fête des Moisins en quelque sorte.Abdellatif Kechiche signe ici un excellent film sociologique sur la banlieue,en décrivant les codes avec subtilité.Cet univers en vase clos est montré sans fard,avec ses règles rétrogrades non écrites mais appliquées,son langage bâtard,sorte de sabir mêlant un français très approximatif à un arabe qui ne l'est pas moins,avec ses jeunes incapables de se parler sans s'engueuler,sur fond d'accent racaille rendant difficile la compréhension de leur expression.Au fond,c'est un monde où on parle beaucoup mais où on communique peu.En résulte une marmite bouillonnante dans laquelle le moindre évènement anodin peut prendre des proportions étonnantes et salement dégénérer.Et comme l'idiotie,l'inculture et le machisme règnent en maîtres,l'ambiance est relativement moyenne.Kechiche double cette analyse d'une réflexion sur le déterminisme social,faisant l'amer constat que les êtres,quel que soit leur parcours de vie,ne peuvent échapper à leurs origines et que s'ils changent de classe sociale,ils ne peuvent que feindre d'appartenir à leur nouvel environnement,avec plus ou moins de talent.Tout ceci fait l'objet d'une mise en abyme avec la pièce de Marivaux et le métier de comédien.Le personnage de Krimo est le vecteur de cette thématique de l'échec.Il rêve de partir avec sa famille sur un voilier,mais son père est en taule.Il essaie de jouer la comédie mais se révèle incapable d'intégrer le rôle,de faire semblant d'être un autre que lui-même.Il veut séduire Lydia mais l'indécision de la demoiselle,combinée à la pression des copains du quartier,pour qui un gars qui fait du théâtre est forcément un pédé et qui considèrent l'oeuvre de Marivaux comme écrite dans une langue étrangère,font tourner la romance à l'aigre.La prégnance de la domination masculine est clairement mise en évidence à travers le comportement des filles.En surface,elles paraissent libérées,grandes gueules et vindicatives,mais lorsque les garçons reprochent à Lydia de laisser Krimo dans l'expectative,elles leur donnent raison et se retournent contre leur copine,ayant intégré malgré elles les lois occultes de la cité qui sont destinées à culpabiliser les femmes et s'auto-opprimant.On nage donc dans un pessimisme poisseux assez réaliste.Après,le film a certains défauts.Ca tire un peu en longueur et la cité semble un peu trop tranquille,ce quartier étant un des plus sensibles du 9-3.Et même si Kechiche évite de victimiser les protagonistes,la scène avec les flics est franchement too much.Les jeunes acteurs sont tous fantastiques,principalement la solaire Sara Forestier qui bouffe littéralement l'écran.Belle performance également,en prof de théâtre,de Carole Franck,actrice de grand talent trop méconnue.

pierrick_D_
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le 8 juin 2016

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