Qui pourrait croire que c'est le même David Fincher qui a pondu cette étrange histoire et l'adaptation éprouvante pour les nerfs de Millenium ou Seven ? En cours de route, il n'a rien perdu de son brio formel. Le gars sait s'y prendre pour créer l'illusion d'un monde cohérent, dans lequel on rentre comme dans du beurre. Mais cette fois, ni sadisme ni dépeçage en règle de virginales victimes, mais bien une sorte de chronique de ces doux rendez-vous qu'on se donne parfois d'un bout de la vie à l'autre. Un conte, ou tout comme. Je l'avais vu à sa sortie, il y a pas mal de temps, sans éprouver un grand enthousiasme. Je ne sais pas exactement ce qui m'a poussée à le revoir, du coup, mais je ne le regrette pas, car cette fois, forte de ma première mauvaise impression, j'ai dû baisser ma garde et la magie a pu opérer. Enfin, pas le genre de révélation cosmique qui vous transporte aux portes de la mort, non, quand même pas. Mais une sorte de charme léger, comme l'odeur du café dans une maison calme un dimanche matin. A vrai dire, j'ai souvent pensé à Forrest Gump (et ça, c'est carrément bon signe!), avec ce personnage décalé, candide et doux, qui vient rappeler opportunément à ceux qui en douteraient encore qu'une enfance pourrie est un bienfait irremplaçable. Mais aussi à Amélie Poulain, pour la gamme chromatique et l'attention portée aux petites choses. Ou encore aux livres de García Márquez, notamment L'amour au temps du choléra. Ce ne sont pas de minces références. Les vrais monuments du film, en fait, ce sont les femmes : la mère adoptive, l'aristocrate insomniaque et, bien sûr, la danseuse brisée. Des archétypes portés par des interprètes pleines de grâce, à côté desquels les hommes ont toujours un peu l'air de passer leur vie à demander autour d'eux ce qu'ils peuvent bien en faire au lieu de se retrousser les manches et de taper après. En résumé, un excellent moment de cinéma, pas aussi mièvre qu'il en a l'air.