L'Étrange couleur des larmes de ton corps par Nicolas Gilson
Après AMER, Hélène Cattet et Bruno Forzani nous convient à une nouvelle expérience sensitive où l’onirisme fait corps aux pulsions et aux répulsions d’un homme qui s’aventure dans une quête labyrinthique et obsessionnelle. Sous des airs de thriller, L’ETRANGE COULEUR DES LARMES DE TON CORPS est une singulière exploration introspective gorgée de fantasmes et de désirs. (…)
Bien que réfléchie, la narration importe peu : perdus dans les méandres de leurs obsessions, les protagonistes se laissent guider par leurs émotions, leur concupiscence ou leurs cauchemars. Il ne s’agit pas de les comprendre mais d’épouser leur trouble dont nous sommes parallèlement les témoins. D’entrée de jeu, le générique donne le ton. Nos sens sont tout à la fois excités et frustrés, et les pistes sont nombreuses. Déjà les dynamiques de cadrage, le travail sur le son ou la musique sont sources de contrastes. Déjà aussi, une « image » se veut hypnotique : celle d’une femme nue, offerte, dont le plaisir apparent voire exacerbé se conjugue avec une lame affûtée. Une « image » obsessionnelle qui n’aura cesse de hanter l’imaginaire des uns, l’espace de tous. (…)
La fragmentation des esprits et des corps est-elle motrice du scénario qu’elle est marquée visuellement. L’approche esthétique est magistrale et transcende avec sensibilité le trouble qui habite les protagonistes jusqu’à leur perte d’identité. Entre la grâce du cadrage et l’habilité du montage, les corps et les êtres sont tout à la fois divisés et unis (…)
Les réalisateurs mettent en place une adroite mécanique esthétique dont chaque élément, du cadrage au montage, du décor à la bande son, est un rouage. Le travail sur le son est tout à la fois hypnotique et déstabilisant. À l’instar de chaque élément, il est pensé dans les possibilités de contraste qu’il présente. Les réalisateurs – qui témoignent d’une réelle distanciation et d’un humour succulent – tirent les ficelles et nous malmènent afin de nous plonger au coeur même du dédale mis en scène. Chaque « cut » devient alors une claque. Et le masochisme prend sens. Si bien que l’envie irrémédiable de revoir le film s’impose lorsque le générique de fin s’inscrit.
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