Voyage envoutant dans les méandres de l'esprit

Obsédant, voilà un adjectif pour L’étreinte du serpent, un film qui nous envoûte lentement, tel le serpent nous enserrant petit à petit. Comme l’on fait avant (et après) lui les Apocalypse now, Aguirre ou Lost City of Z, le film parle à la fois de la rencontre de l’homme blanc avec une autre vision du monde et de la nature, une différence bien plus fondamentale que la culture et la langue, mais aussi de la gloutonnerie des supposés « civilisateurs » opérant des ravages au nom des richesses économiques ou de la religion. Et enfin, plus que d’autres, il donne la parole (expression ici un peu trop figée, car le cinéma donne plus que la parole) à ceux qui en ont souffert, ici incarné par le chaman Karamakate.


Le film suit Karamakate à deux moments de sa vie, deux phases où il sert de guide à des explorateurs, l’un à la recherche de l’autre. Leur parcours à travers la jungle et le fleuve est aussi bien physique que psychique. Renforcé par son traitement en noir et blanc et ses aller-retours volontairement flous entre les deux voyages, le film nous emmène sur le territoire du rêve, d’une réalité malmenée — ce que voit l’Homme Blanc, sa manière de percevoir le monde est bouleversée par son voyage.


Ciro Guerra fait une critique sombre mais plutôt évidente de l’occupation : destruction de la nature et de l’identité des populations indigènes — converties de force, interdites de parler leur langue ou de porter leur prénom d’origine. La jungle est un refuge, mais la fuite à un coût, la perte des souvenir et des émotions.


Difficile d’analyser tout ce qu’on voit dans l’étreinte du serpent, car le film ne cherche pas la narration logique et se laisse porter sur les flots du symbolisme. Si certaines clefs de compréhension sont évidentes, d’autres sont plus évanescentes, et chacun peut retirer de cette expérience ce qu’il souhaite. L’esthétique du film et sa construction servent parfaitement sa dimension onirique. A condition d’aimer les films contemplatifs et de savoir lâcher prise, l’Étreinte du Serpent est donc une très belle œuvre.

AlicePerron1
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le 22 mai 2021

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Alice Perron

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