Avec "Mr Deeds goes in town", Capra signe un chef d'oeuvre en l'inscrivant dans une sublime intemporalité.

La réalisation et la mise en scène n'ont pas pris une ride, et plus de 50 ans plus tard, cela relève presque de l'exploit. La direction et le jeu des acteurs sont excellents. Gary Cooper interprète merveilleusement un jeune héritier, nommé Longfellow Deeds. D'un simple regard, il parvient à montrer l'intelligence des petites gens simples et honnêtes. Gary arrive même à nous faire pleurer et pouffer de rire à la fois. On mesure alors l'étendu de son talent. Oui, c'est vrai j'aime Gary et j'assume ! Quant à Jean Arthur alias Babe, elle joue avec justesse et brio toute une gamme de sentiments à laquelle son personnage est soumis : la malice, l'attendrissement, la pitié, le remord et bien sûr l'amour.

Mais c'est surtout avec son thème que Capra défie les lois spatio-temporelles : le choc des cultures entre les citadins et un provincial. Alors que le titre français met l'accent sur les extravagances de notre héros - extravagances qui le mèneront à être jugé moralement et médicalement au milieu d'une cour de justice - le titre original « Mr Deeds goes to town» insiste davantage sur le décalage entre notre protagoniste issu d'une petite ville rurale, où la vie est criante de simplicité et d'ingénuité, et « the town », la grande New York, où les gens se présentent comme cultivés, futés mais aussi malveillants, prêts à tout pour obtenir la gloire, la fortune ou quelques congés payés...

Ce qui m'a plu, c'est aussi la critique ouverte des médias. Capra dénonce l'instrumentalisation que les journalistes peuvent faire d'un homme et de son destin, dans le seul but de vendre un peu plus de papier. Longfellow Deeds se voit ainsi tourné en ridicule. On le présente comme un héritier bouffon, un homme-cendrillon. Les journalistes ne retiennent que ses dites extravagances, qui ne sont en réalité que de petites fantaisies propres à chacun.

On peut y voir ici l'aphorisme de la civilisation qui corrompt l'Homme : L'argent, le pouvoir, les médias transforment les Hommes en de méprisables personnages arrogants. Lorsque notre héros souhaite partager son vaste héritage auprès des fermiers qui ne demandent qu'à obtenir quelques lopins de terres, celui-ci se voit accusé de fou. Au milieu d'une Amérique qui connait les débuts de la crise, en partie due aux spéculateurs, ce film n'a que davantage de résonance à notre époque. Et d'après son contexte, on peut se demander dans quelle mesure cette œuvre n'incarnait-elle pas un brûlot contre le capitalisme. Mais il semble avant toute chose que Capra tente de faire preuve de bon sens, en souhaitant promulguer des valeurs de partage des richesses et d'égalités des chances, valeurs accusées de Communisme par certains mais qui font aussi partie, paradoxalement, des valeurs sur lesquelles reposent la grandeur de l'Amérique, évoquées sans aucune complaisance.

Cet homme que tout le monde va prendre pour le dernier des abrutis va bousculer toute l'hypocrisie des citadins. Les journalistes, la justice, les avocats, les artistes, tout le monde en prendra pour son grade.

L'extravagant Mr Deeds trouve l'équilibre parfait entre émotions et réflexions. On s'aperçoit que chaque séquence est réglée au millimètre près. Celles-ci ont une fonction narrative qui se place au service de l'histoire mais elles pourraient tout aussi bien fonctionner indépendamment, en révélant des choses toujours finement perçues et lumineuses.

Comme vous l'aurez compris, je ne peux que vous recommander d'aller voir au plus vite ce petit bijou, ne serait-ce que pour se rendre compte que les classiques ne sont pas des classiques par hasard ...
Momodjah
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le 16 janv. 2011

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Momodjah

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