En panne d'égalité et de liberté ? N'ayez pas peur, le pays de l'Oncle Sam est là pour vous sauver

Le speech de L’extravagant Mr Ruggles est assez simple. Mr Ruggles, majordome d’un homme de la haute société anglaise, est mis en jeu lors d’une partie de poker entre son « maitre » et un bourgeois américain, nommé Egbert Floud. Ce dernier, ayant gagné, Ruggles change de main et se retrouve du jour au lendemain au service de notre bon vieux Egbert. Ruggles va ainsi changer de monde, en passant de la vieille aristocratie anglais à la nouvelle bourgeoisie américaine. Choc des cultures en vue.

Sur le plan de la forme, L’extravagant Mr Ruggles est une comédie parfaitement réussie. Bien que le rire fût aux abonnés absents, le sourire sincère lui était omniprésent. En effet, le film de Leo McCarey, d’ailleurs un réalisateur inconnu pour moi, est une petite pépite d’écriture (j’exagère peut être un peu). Que cela soit pour ses situations causasses et comiques (comme les scènes du cochet et de la moustache), son humour fin, ou encore ses punchlines qui font régulièrement mouche.

Mais L'extravagant Mr Ruggles c’est aussi un film décrivant les uses et coutumes des Etats Unis et de l’Angleterre. Tout ceci, incarné par plusieurs personnages.
Le premier, personnage au centre de l’intrigue, notre bon anglais, celui dont le rôle reste en tête après avoir vu le film, c’est bien entendu Mr Ruggles, incarné de manière fracassante, sublime, grandiose par Charles Laughton, imperturbable, maniéré, tout en retenu, respectant une stricte hiérarchie entre individus. Comportement qui tranche d’ailleurs avec son humour détonnant, son regard de petit filou, et le fait toujours à l’affut pour caser une petite saillie bien sentie.
Un autre personnage important est Ebgert Floud, représentant la bonne vieille Amérique, jovial, détaché, direct, simple, un peu rustre, grincheux, voire un peu grand enfant, mais un individu au grand cœur, qui met les « bonnes manières » de côté, un homme proche des autres tout compte fait.
Et enfin, on peut évoquer sa femme, Effie Floud, maman poule de son marie, qui représente pour moi la nouvelle bourgeoisie américaine, très ostentatoire, qui se donne des bonnes manières en empruntant beaucoup à la haute société anglaise, qui copie ses coutumes (intérêt pour la « culture ») et ses manières d’être (habillement, règles de vie), peut-être pour se différencier, se sentir supérieur à ses compatriotes..
Du coup par certains aspects, j’ai eu l’impression que le réalisateur nous montrait son amour pour les gens simples, à travers Mr Floud et ses amis, où tout est dans l’affection, le partage, la gaieté, en comparaison du monde plutôt froid, sec, austère, de cette nouvelle aristocratie (la femme de Floud et son complice notamment).


L’extravagant Mr Ruggles, c’est aussi donner le beau rôle à l’Amérique, en face d’une Angleterre vieillissante et rétrograde. En effet, on voit que Ruggles, domestique depuis longtemps, ne souhaitant au départ pas quitter ses habits, va progressivement s’émanciper et ne plus vouloir appartenir à quelqu’un, être maitre de soi-même. Ainsi, tout le monde se souvient, pour ceux ayant vu le film, de cette très belle séquence où Laughton déclame une tirade d’Abraham Lincoln.
En gros, l’Amérique, c’est une terre de liberté et d’égalité, au contraire de cette Angleterre poussiéreuse. Un peu simpliste dira t on … Mais en fait, je ne sais si cela est voulu, mais on peut avoir l’impression que le réalisateur tempère cela, notamment par l’agissement de quelques personnages, comme l’ami de la femme de Floud qui à plusieurs reprises montre une réelle suffisance, haine, un dégoût pour notre bon Ruggles, même une fois celui-ci libéré de toute tutelle. Comme si tout compte fait, cette quête d’égalité n’était en fait qu’un début.
J’ai d’ailleurs aussi trouvé que McCarey reprenait un peu le mythe américain du Self Made man, pour glorifier quelque peu son pays. Où celui qui n’a rien, qui part de zéro, peut grâce à ses efforts réussir dans la vie et s’élever socialement. Et ceci est visible par l’envol de Ruggles à la fin du film, qui après avoir quitté son rang de « serf », ouvre avec son amie un restaurant qui semble alors très prospère. Le bougre, il a réussi ! Punaise, l’Amérique, c’est beau, je crois que je vais pleurer.
Par contre, il me semblerait que McCarey en profite aussi pour taper sur la société américaine, certes gentiment, mais tout de même. Par exemple à travers le passage où Ruggles passe d’un simple quidam à une personnalité reconnue. Il est d’abord ignoré, voire méprisé, puis tout d’un coup, une fois présenté sous un meilleur jour il devient une star, une personnalité intéressante, une personne recherchée, avec qui il est bon ton de s’afficher. Ainsi serait mise en lumière l’hypocrisie totale de certaines personnes.

Pour ce qui est de la réalisation, je ne vais pas m’étendre sur le sujet, ce n’est pas l’aspect principal du film, et bien qu’elle n’ait rien d’extraordinaire, elle reste en somme classique, efficace, posée, toute en douceur, jamais déplaisante. Ce qui on peut le reconnaitre, est déjà appréciable.


L'extravagant Mr Ruggles est donc une bonne comédie, assez classique tout compte fait, mais qui fait passer un joyeux moment, malgré l’idéologie mise en avant, qui aujourd’hui peu faire sourire.
Alors même si ce n’est pas pour moi un chef d’œuvre, ça n’en reste pas moins un bon film. Laissez-vous tenter, 1h30 de bonne humeur, ce n’est pas du temps perdu.

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