Venu au cinéma muet avec la magie de Frank Borzage et le charme de Janet Gaynor, c’est avec un très naturel enthousiasme que je m’installai devant « Seventh Heaven », tourné en 1927 avec les mêmes comédiens que « Street Angel », qui le suivra en 1928.


Dès le début, on retrouve des personnages similaires. Diane (Janet Gaynor) vit seule avec sa sœur, interprétée par Gladys Brockwell, une horrible mégère alcoolique qui l’insulte et la bat sans ménagement. Chico (Charles Farrell), travaille quant à lui dans les égouts de Paris, avec ses deux compères. Son rêve ? S’élever socialement, et devenir nettoyeur de rues.


La bonne fortune semble pourtant sourire à Diane et sa sœur, orphelines. Leur oncle, ayant fait fortune à l’étranger, revient en effet à Paris, et souhaite les prendre sous son aile… À condition évidemment qu’elles aient été de ‘bonnes filles’.
Durant son inspection, c’est Diane, trop honnête, qui commet un impair, avouant la mort dans l’âme à l’oncle qu’elles ne correspondent pas à cette étiquette. Sans vouloir en entendre davantage, l’oncle, qui n’est quand même pas très chic, quitte l’appartement sordide des sœurs, laissant Diane à la merci de la colère (pas forcément légitime, mais fort compréhensible) de son aînée.


Poursuivie dans la rue, rouée de coups, Diane n’échappe à la vindicte de sa méchante frangine que grâce à l’intervention opportune de Chico. Le grand gaillard, un homme remarquable – selon ses propres termes – rencontre donc pour la première fois la jolie Diane…


Précédant « Street Angel », et « Lucky Star », qui sortira en 1929, toujours avec le duo Farrell/Gaynor, « Seventh Heaven » est un mélodrame, genre qui acquerra ses lettres de noblesse avec Borzage. Le film est centré sur un couple de jeunes gens, qui vont progressivement tomber amoureux, et devoir surmonter des obstacles pour finalement atteindre une transcendance.


On retrouve par ailleurs dans le film plusieurs des thèmes que Borzage abordera souvent par la suite :



  • Un cadre social pauvre : elle est orpheline, et ne survit que grâce aux larcins commis par sa sœur, tandis que lui est égoutier, et ne rêve que de pouvoir monter dans la rue pour travailler au grand air.

  • Un monde extérieur qui va s’opposer aux amoureux, tenter de contrecarrer leur relation, les empêcher d’être ensemble. Cela se traduit ici par la guerre.

  • L’importance de la religion et de la spiritualité. Ici, cela se manifeste par la figure du prêtre, quasi surhumain, qui semble pouvoir prédire l’avenir, et par la conversion progressive de Chico, d’athée convaincu en bon croyant.


Cette spiritualité est également sous-tendue derrière la relation entre Diane et Chico. Celle-ci, d’abord un contrat de circonstance, va évoluer vers l’amour le plus pur, le plus transcendant, qui se libère des contraintes matérielles. Ainsi, la symbolique de l’appartement perché au plus haut de l’immeuble – par opposition à la rue, d’où elle vient, et les égouts, souterrains, où il travaille – est puissante (intermédiaire entre le ciel et la terre).
Borzage prête également aux amoureux un ‘sens’ supplémentaire, quasi divin, qui leur permet de communiquer malgré la distance, et de toujours ressentir la présence et l’amour de l’être aimé.


Comme dans « Street Angel », dans sa forme, le film est parfait.


Les acteurs choisis par Borzage sont ceux qu’il dirigera ensuite dans deux autres films, et qui tournèrent au total 12 films ensemble. Janet Gaynor et Charles Farrell possèdent une véritable alchimie à l’écran – Olivia de Havilland, qui forma avec Errol Flynn une autre paire célèbre du cinéma – les considérait comme l’un des plus remarquables duos du cinéma. Borzage sait parfaitement sublimer ce couple si bien assorti, dont la différence de taille (36 cm) donne lieu dans le film à une scène plutôt drôle…


Techniquement, c’est très réussi. Borzage est un virtuose de l’ère du muet, et utilise à merveille la lumière pour mettre en valeur ses acteurs, et engager émotionnellement son spectateur dès les premières secondes du film, l’acquérir définitivement à la cause de ses personnages. Petite mention aux décors de studio – son Paris est bien peu réaliste – qui sont très chouettes, surtout la vue assez chouette depuis le balcon de l’appartement.


Bon, par contre, il y a ici quelques défauts, qui m’empêchent de pousser la note au-delà de 7.


Le premier, et plus embêtant, concerne pour moi le traitement du personnage de Janet Gaynor. J’avais déjà eu un peu cette impression dans « L’Aurore », quoiqu’un un peu moindre. Ici, Diane se comporte comme une petite épouse serviable, qui fait le café, reprise les chemises, coupe les cheveux, etc., de son brave Chico, et tombe amoureuse de lui.
Cela paraît un peu simple, mais au final :



  • Elle n’a vécu que dans la misère et n’a connu que le désamour de sa sœur abusive et violente, aussi peut-on supposer que, devant la pitié, voire même le respect, que lui témoigne Chico, elle ne peut que tomber amoureuse, et se comporter comme une brave petite femme constitue la seule façon qu’elle connaisse de le remercier.

  • Lui tombe amoureux d’elle parce que c’est Janet Gaynor (n’allons pas chercher midi à quatorze heures, l’explication la plus simple est souvent la meilleure).


La simplicité et la pureté de l'histoire pourra en certainement en toucher beaucoup. Personnellement, les histoires de ce genre ont tendance à me lasser, et je préfère les personnages avec un peu plus de piquant...


« Seventh Heaven » est une histoire de deux jeunes gens simples, et qui ne rêvent que d’une vie meilleure, qui vont tomber amoureux. Sous la caméra habile de Borzage, Charles Farrell et la jolie Janet Gaynor nous emmènent dans les rues de Paris, pour nous raconter leur belle histoire.

Aramis
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le 19 avr. 2015

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