« On n’en finit pas avec l’Histoire » (Ph. Le Guay)

Pires que les « bas-fonds », peints par Renoir (1936) puis Kurosawa (1957), tous deux s’inscrivant chacun à sa manière dans le sillage de la pièce (1902) de Gorki… Les sous-sols ! On ne peut s’empêcher de songer au documentaire saisissant d’Ulrich Seidl, « Sous-sols » (2014), qui promène son spectateur d’une stupeur à l’autre, entre rire et consternation. Se détournant résolument du sixième étage solaire et proche du septième ciel qu’il était allé visiter auprès de « Les Femmes du 6e étage » (2011), Philippe Le Guay reprend son exploration d’un immeuble en s’enfonçant, cette fois, dans ses sous-sols, pour y rejoindre François Cluzet, qui incarne « l’homme de la cave » éponyme.


On pourrait croire l’argument du film invraisemblable, si le réalisateur lui-même, également co-scénariste, avec Gilles Taurand et Marc Weitzmann, ne reconnaissait ouvertement s’être inspiré d’une mésaventure très semblable advenue à un couple d’ami : après avoir vendu une cave inutilisée, dans leur immeuble parisien, à un inconnu (François Cluzet, magnifique dans ce rôle plus qu’ambigu, entre détresse et abjection), un couple bourgeois (Bérénice Béjo et Jérémie Renier) voit cet homme, Jacques Fonzic, ancien professeur radié de l’Education Nationale pour ses opinions négationnistes, s’installer à demeure dans ce lieu impropre à la résidence, ce qui a pour effet de soulever contre eux, en tant que vendeurs trop peu regardants, la copropriété tout entière. Le mari, Simon Sandberg, ayant lui-même des origines juives mal assumées, le malaise porté au sein du couple est complet.


L’idée de base est astucieuse et potentiellement féconde, assez bien exploitée, d’ailleurs, en ce qui concerne ce resurgissement de l’Histoire au plus intime de celui qui a voulu s’en détourner trop radicalement ; jusqu’à cacher à son épouse les origines et, précisément, l’histoire de l’appartement dans lequel ils résident. Plutôt intéressant également, ce retournement des destins : le négationniste, solidement antisémite, se retrouve dans la position de la vermine, du rat se terrant dans sa cave, et endosse ainsi le statut dont il aurait voulu affubler les Juifs. 0n croit voir s’inverser sous nos yeux le tableau de Rembrandt, « Philosophe en méditation » (1632), et l’escalier qui figure la pensée et la réflexion ascensionnelles du philosophe s’enfoncer dans les profondeurs les plus turpides. On songe aussi au « Lemming » (2005) de Dominik Moll, ce petit rongeur niché dans les conduites d’eau d’une maison et provoquant une profonde crise dans le couple des occupants par sa seule présence.


La qualité du jeu des acteurs - Cluzet au premier rang d’entre eux, mais aussi Renier, Jonathan Zaccai, dans le rôle de son frère ou Patrick Descamps en grand-père -, maintient l’attention, mais on souffre aussi devant certaines situations un peu fausses ou forcées, notamment toutes celles qui impliquent la fille du couple. La musique, également, de Bruno Coulais, et, par moments, l’image de Guillaume Deffontaines, dans certaines scènes de cave, lorgnent exagérément du côté du thriller, alors que le scénario n’éveille jamais réellement la peur, suscitant au contraire, dans les meilleurs passages, l’intérêt ou la réflexion.


On regrette finalement que l’ensemble ne soit pas plus abouti, peut-être du fait d’une difficulté à se positionner simplement par rapport à une histoire singulière, sans vouloir à toute force rejoindre les codes de tel ou tel genre cinématographique prédéfini. Un scrupule dont se dégage davantage Philippe Le Guay dans ses comédies, que l’on songe au délicieux « Alceste à bicyclette » (2013) ou à son savoureux « Normandie nue » (2018), infiniment plus audacieux et subtil.

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le 19 oct. 2021

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Anne Schneider

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