Chez Anthony Mann, le passé est toujours un fardeau : on a beau donner l’illusion de remonter aux origines de la nation, sur des terres encore vierges ou en voie de civilisation, les souvenirs colorent à chaque fois le paysage d’une clarté lugubre : un deuil (Du sang dans le désert, Winchester 73), un passé criminel (Les affameurs, L’homme de l’ouest), rien ne permet au protagoniste de se présenter comme un modèle aussi intouché que les terres qu’il investit.


L’homme de la plaine commence ainsi par une double occurrence du feu : les cendres retrouvées sur le chemin qui mène la ville, et l’incendie des biens du nouveau venu, James Stewart qui laisse planer le mystère sur ses intentions. La destruction est le pendant de cette ville à la hiérarchie trop établie pour être rassurante : on s’y bat comme des pourceaux, au milieu du bétail, et la richesse du propriétaire terrien n’a d’égal que les failles traumatiques de sa famille. Un fils ingérable, un adopté qui pourrait prendre sa place, un ancien amour devenu sa Némésis, et la menace Apache corrompue par les armes à feux que fournissent les blancs.


Sous des allures proches du polar, les réelles motivations des personnages ne se révélant que progressivement, la communauté s’effondre progressivement sous la menace de l’arrivée de notre héros, figure presque involontaire du justicier. Ici, tout est décalé, et les effets sont toujours secondaires : le meurtre du frère a été commis par des indiens, mais on cherche à savoir qui a vendu les armes ; le patriarche fait vivre la communauté, mais perd la vue ; son fils adoptif se considère l’héritier légitime, mais n’est que le ver dans le fruit ; les femmes elles-mêmes, à la fois opposantes et adjuvantes, amoureuses et liées à l’ennemi, achève de brouiller les pistes de ce nœud névrotique.


La catharsis nécessaire passera donc forcément par la décharge : du feu, mais aussi, et surtout, des révélations qui permettront au richissime aveugle d’ouvrir enfin les yeux sur la réalité, et au coupable d’être puni par là où il a péché : une façon, en somme, de boucler la boucle et de faire se rejoindre les faisceaux délétères qui faisaient tenir artificiellement la communauté.


L’échappée vers des paysages de plus en plus vastes permet une gradation fréquente chez le cinéaste : du corral aux parois rocheuses, du bar à la falaise, des rues au wild, l’accès à la vérité – et la mort pour certains se fait par l’évidence d’un espace majestueux. C’était la conclusion de Winchester 73, ce sera celle L’homme de l’ouest. Le western relate certes la conquête d’un territoire, mais à terme, c’est toujours lui qui l’emporte sur les individus.


(7.5/10)

Sergent_Pepper
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le 20 déc. 2017

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Sergent_Pepper

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