"L'homme de nulle part" est un western que Delmer Daves a réalisé en 1956 et dont j'ai toujours beaucoup apprécié l'ambiance et les personnages.


Le scénario est assez élaboré comme souvent dans les films de Delmer Daves. Ici, le scénario tourne autour de quatre personnages d'égale importance. Un éleveur Shep recueille sur la route un homme à moitié mort de froid et de faim, Jubal, et l'engage comme cow-boy puis devant sa compétence, en fait son contremaître. L'épouse de Shep, Mae, qui ne s'estime pas heureuse dans cette vie rude et solitaire au ranch, a des vues sur Jubal. Un cow-boy de l'équipe, Pinky, s'estime doublement floué par Jubal puisqu'il convoite à la fois la place de contremaître et la femme de Shep.
Mais l'important se trouve dans la psychologie et le caractère des personnages, indissociables des acteurs qui les incarnent :


D'abord Shep, qui est joué par Ernest Borgnine, presqu'à contre emploi. On voit souvent Ernest Borgnine dans des rôles de mauvais garçons un peu bourrins, pas forcément méchants mais mais bourrins dont il n'y a pas grand chose à tirer. Ici, c'est le patron mais un patron très investi dans son boulot et un patron qui a le cœur sur la main. Par contre, il reste un peu bourrin surtout dans les relations avec sa femme qu'il traite, sans en avoir vraiment conscience, comme une belle pouliche. Il est d'un naturel optimiste et bienveillant mais il n'imagine pas le mal.


Le rôle de Jubal est tenu par Glenn Ford. On connait tous Glenn Ford qui joue très souvent des rôles d'homme fidèle ou d'homme loyal quelque soit le personnage qu'il ait à jouer, bandit ou non, gangster ou flic (il y a probablement des exceptions). Ici c'est le rôle d'un homme au passé indéfini, fuyant une enfance qu'il a très mal vécue car sa mère le haïssait. Shep décide de lui faire confiance et c'est la première fois que ça lui arrive. J'ai dit "loyal" en parlant de lui : ici, en effet, il refuse les avances de Mae et de trahir l'homme qui lui a fait confiance.


Le rôle de Mae est tenu par une actrice que je ne connais pas, Valérie French. C'est la femme fatale. En fait, si on reconstitue le personnage, elle aussi a fui une situation peu enviable (peut-être de prostituée) en se mariant avec Shep qui lui a fait miroiter une vie de dame dans un ranch. Mauvaise pioche car la vie au ranch est monotone et surtout elle finit par mépriser ce mari qui n'est pas méchant mais juste vulgaire (les tape sur les fesses, il lape sa soupe comme un sauvage, ...). Du coup elle jette son dévolu sur tout cow-boy qui passe à sa portée. Mais tous ces cow-boys sont eux aussi peu raffinés ...


Le quatrième personnage c'est Pinky joué par Rod Steiger. C'est le méchant de service. C'est un personnage très intéressant dans ce film. Il y a plusieurs facettes à son personnage. Avant l'arrivée de Jubal, il était un cow-boy qui se serait bien vu contremaître de Shep d'autant plus que, lui, avait succombé aux charmes de Mae qui en était sortie dégouttée par le personnage. C'est une grande gueule qui est capable d'avoir un ascendant sur les autres. Il sait causer et obtenir l'adhésion des autres hors du ranch. Je précise, les autres cow-boys du ranch n'adhèrent pas car, eux, ils le connaissent et savent que derrière la façade, il n'y a rien chez Pinky. Par contre, il sait motiver une foule et l'entraîner vers une action vengeresse. Au final, Pinky alias Rod Steiger, c'est un minable mais un minable génial.
Du reste, il me fait penser à son rôle dans le film de Jewison "Dans la chaleur de la nuit" où il joue le rôle du shérif, minable et raciste, pour lequel il recevra un oscar...


Un mot d'un personnage secondaire que je trouve très beau même si d'aucuns la trouveront un peu fade face à Mae. Il s'agir de Naomi jouée par Felicia Far qui jouera d'autres fois chez Delmer Daves. Ici elle est en opposition totale avec Mae. Ce que Mae a en noirceur, Naomi l'a en blancheur. La scène très pudique où Naomi et Jubal se déclarent leur amour mais surtout où Jubal se livre pour la première fois à quelqu'un est juste magnifique.
Naomi est un personnage d'autant plus beau qu'on sent chez elle une grande force intérieure qui submergera Jubal.


Un autre personnage secondaire est joué par Charles Bronson qui joue ici un rôle de "cavalier blanc", genre de témoin toujours positionné au bon endroit et au bon moment dans les scènes critiques.


La mise en scène de Delmer Daves est à la fois sobre et très efficace. Par exemple, dans la première partie où il décrit la vie (sympa) du ranch presque de façon documentaire avec la musique aux rythmes très country. Par exemple, en montrant que le cow-boy qui se réveille et se lève a un premier geste, reflexe, de mettre son chapeau.
Sans oublier les splendides courses de chevaux sur des somptueux paysages montagneux et enneigés du Wyoming.


Le rythme du film est plutôt lent comme si Delmer Daves s'était donné pour tâche de bien installer ses personnages avant de lancer les diverses actions.
Au delà de l'analyse des comportements des personnages, ce western est aussi une belle leçon de tolérance et d'accueil de "l'autre" quelque soit ses convictions.

JeanG55
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Westerns et Les films de Delmer Daves

Créée

le 1 juin 2021

Critique lue 259 fois

8 j'aime

13 commentaires

JeanG55

Écrit par

Critique lue 259 fois

8
13

D'autres avis sur L'Homme de nulle part

L'Homme de nulle part
abscondita
8

« Je fuis la malchance »

Jubal est un western psychologique lourd de tension, porté par un très bon jeu d’acteurs. L’intrigue prend place dans un ranch, tenu par le débonnaire mais compétent Shep (Ernest Borgnine). Il est...

le 25 août 2022

12 j'aime

14

L'Homme de nulle part
Watchsky
8

La Chatte dans un ranch brûlant

L'intrigue de L'Homme de nulle part est assez surprenante pour un western : dans un ranch isolé, une jeune épouse insatisfaite sexuellement tente de séduire l'employé de son mari. Dans son...

le 13 avr. 2023

11 j'aime

3

L'Homme de nulle part
JeanG55
9

L'Homme de nulle part

"L'homme de nulle part" est un western que Delmer Daves a réalisé en 1956 et dont j'ai toujours beaucoup apprécié l'ambiance et les personnages. Le scénario est assez élaboré comme souvent dans les...

le 1 juin 2021

8 j'aime

13

Du même critique

La Mort aux trousses
JeanG55
9

La mort aux trousses

"La Mort aux trousses", c'est le film mythique, aux nombreuses scènes cultissimes. C'est le film qu'on voit à 14 ou 15 ans au cinéma ou à la télé et dont on sort très impressionné : vingt ou quarante...

le 3 nov. 2021

22 j'aime

19

L'Aventure de Mme Muir
JeanG55
10

The Ghost and Mrs Muir

Au départ de cette aventure, il y a un roman écrit par la romancière R.A. Dick en 1945 "le Fantôme et Mrs Muir". Peu après, Mankiewicz s'empare du sujet pour en faire un film. Le film reste très...

le 23 avr. 2022

21 j'aime

8

125, rue Montmartre
JeanG55
8

Quel cirque !

1959 c'est l'année de "125 rue Montmartre" de Grangier mais aussi des "400 coups" du sieur Truffaut qui dégoisait tant et plus sur le cinéma à la Grangier dans les "Cahiers". En attendant, quelques...

le 13 nov. 2021

21 j'aime

5