Une malédiction qui nous aura fait chier jusqu'au bout.

25 ans ! Voilà le temps qu’il aura fallu à Terry Gilliam, anciennement membre du groupe comique Monty Python et réalisateur de talent ayant connu une longue traversée du désert dans les années 2000 avec des œuvres cinématographique qui m’ont presque tous paru très discutable qualitativement et tellement de malchance qui lui est tombé sur la gueule qu’un roman sur l’avènement de ce film mérite sans mal de voir le jour. Les projets avortés qui n’ont pas vu le jour ne manque pas, on pourra aussi bien évoquer le Napoléon de Stanley Kubrick que Dune d’Alejandro Jodorowsky, Paul Verhoeven qui souhaitait faire un film sur les templiers du nom de Crusade qui n'a pas vu le jour ou même le projet d’adapter Le Seigneur des anneaux avec les Beatles (dont John Lennon en Gollum).


Conditions de tournage effroyable à la première tentative, mal de dos de Jean Rochefort, mort du cheval le lendemain du départ de l’acteur et annulation de la première tentative de tournage sont tombés sur la gueule de ce projet infernal qui, après moult recherches de fonds pour le tournage au fil du temps, en aura chié jusqu’à ces dernières semaines avec le procès intenté par le producteur de Terry Gilliam, Paulo Branco, à deux reprises quant aux droits d’exploitations du film. Jusqu’à ce que le miracle s’accomplisse enfin, le festival de Cannes soutenant le film comme son réalisateur afin de permettre sa diffusion, et voilà ou nous en sommes désormais : la diffusion est accordé depuis peu, la sortie sur le sol français a eu lieu le 19 mai, que vaut alors ce projet pour lequel s’est vaillamment battu l’auteur de Brazil ?


Et bien pour donner une première impression, c’est définitivement un bon film voire même très bon qui a des arguments de poids à faire valoir et avec lequel Terry Gilliam parvient enfin à renouer avec le charme de ses premiers métrages avec ce cassage de la frontière entre imaginaire et réalité qu’il affectionne tant, mais peut être pas autant que je l’aurais espéré.


L’Homme qui tua Don Quichotte a un côté intimiste pour son auteur que l’on ressent très vite au travers de sa narration et de son écriture (sérieux, la plaquette de présentation au générique qui déclare la sortie du film après 25 ans de dure besogne, ça en dit long). En grande partie au travers du duo Toby et Javier/Don Quichotte, la raison même du film dont chaque gag et effet de comédie font mouche grâce à ce décalage entre la modernité de la société dans laquelle s’est fait le cinéaste de talent mais à l’attitude insolente et malhonnête, et l’esprit de chevalerie du chevalier chasseur de moulin. Bien aidé par Adam Driver, aussi cohérent dans le choix d’acteur que crédible dans la peau du jeune réalisateur que Jonathan Pryce aussi savoureusement drôle qu’il en est touchant et influent dans sa folie romanesque


(au point de confondre un chant musulman avec le bêlement des moutons).


D’ailleurs Terry Gilliam noue aussi bien avec la cohérence du contexte comique que du rapport réalité/imaginaire au travers de sa mise en image et la lente mais évidente progression qui envahit Toby et le spectateur par la même occasion petit à petit. D’abord terre à terre dans la première demi-heure, ancré dans la société actuelle et Toby comme le spectateur ne voyant le mythe de Don Quichotte que comme un mythe, une histoire fantaisiste que l’on raconte mais sans y mettre de l’âme ou réellement y croire.


Avant qu’ensuite on retrouve petit à petit les mouvements, cadrages et plans de plus en plus fantaisistes et libérés du réalisateur, retranscrivant même le rapport de force entre Toby et Javier Sanchez/Don Quichotte (chaque cadre penché sur les deux acteurs montre toujours Pryce en position dominante sur le jeune cinéaste incrédule). Et faisant la réduction presque quasi complète des effets numériques avec lequel Gilliam était très loin d’être à l’aise (Les frères Grimm et L’imaginarium du Docteur Parnassus me restent encore entre les tripes) et dispersant avec un bon dosage certains indices brouillant, comme pour Toby, la frontière entre réalité et fiction


(le trésor espagnol trouvé en plein désert espagnol qui se révélera dans la dernière demi-heure être de simple piécettes usés sans valeur marchande, la fête de l’équipe de tournage avec le responsable d’une marque de bière Alexei aux allures de dépaysement historique via les lieux, les costumes et l'atmosphère faussement festive).


Là ou le film en étonnera probablement plus d’un au niveau du contenu, c’est qu’à l’inverse du projet initial ça n’est pas un film sur l’histoire de Don Quichotte à proprement parler ou sur son époque, mais un voyage contribuant au brouillage des repères et dans lequel Toby se retrouve confronté à son passé et à ce qui l’a mit sur le devant de la scène. Et à ce titre, je trouve ça sert dignement le parcours et l’ambiguïté de Toby contrebalançant entre son statut de cinéaste désabusé qui se retrouve aussi bien influencé par les délires surréaliste de Don Quichotte qu'il en vient à jouer le jeu


(au point même de jouer inconsciemment le rôle du paysan Sancho en voulant lui éviter une humiliation générale, comme si son passé s'apprêtait à l'enfermer à son tour dans cette même bulle imaginaire).


Mais on pourra quand même reprocher à L’homme qui tua Don Quichotte de faire trop l’impasse sur l’influence du film de jeunesse de Toby sur le quotidien du village. Cette influence est limité à 2/3 personnages (Angelica la première jouée par Joana Ribeiro) et Terry Gilliam le néglige pour laisser place à l’épopée burlesque, teintée de nostalgie et improbable du duo. A vrai dire une seule scène s’y penche et l’accoste mais est confusément achevé et réduite à la question du : c’était imaginaire ou réelle ?


Un peu bête d’ailleurs de résoudre si facilement le seul accident du village en question, mais en contrepartie la conclusion de la dernière demi-heure donne une substance forte à la légende de Don Quichotte tout comme celle du film et de la façon de penser de Gilliam au travers de ses œuvres.


Toby devenant aussi fou que l’a été le cordonnier (dans lequel Gilliam s’identifiait en partie tout comme le jeune cinéaste, à n’en pas douter) au point de se prendre pour Don Quichotte à son tour mais retrouvant en parallèle la passion qui l’avait possédé à ses débuts. Et chacun pourra l’interpréter comme il le souhaite.


Donc ouais, beaucoup de plaisir de voir que l’attente était justifiée en ce qui me concerne, souvent drôle et sans bêtise bien que le grain de folie que j’espérais est un peu plus dilué que je l’aurais imaginé, qu’il y ait parfois un ou deux fausses notes et que l'émotion est par moment moins forte qu'on n'aurait espérer. Mais c’est définitivement un film aux allures d’œuvre testamentaire dans lequel Gilliam nous invite à prendre part à l’imaginaire et à la croquer à pleine dent, contrairement à ses productions des années 2000 on sent du cœur à l'ouvrage là ou d'autres de ses derniers films étaient au final peu engageant. Et au moins, il sera parvenu à se libérer de ce projet maudit contrairement à d’autres.
Un calvaire qui n'aurait pas été vain : bravo monsieur !

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