Don Quichotte et Toby forment les deux faces d’une même pièce : celle d’un réalisateur tiraillé entre sa part artistique et sa part commerciale. Qu’est-ce qu’un artiste aujourd’hui dans le monde du cinéma ? Un fou issu d’un passé révolu ou un rebelle qui doit se conjuguer avec les intérêts des producteurs ? De cette base, Gilliam tisse une narration en totale roue libre enchaînant les morceaux de bravoure, les longueurs et les moments plus contemplatifs. La folie de Don Quichotte devient communicative et Toby ne sait plus lui non plus si ce qu’il voit est vrai. Le village des maures, le combat des géants, la fête médiévale au château avec les publicitaires ou encore la mise en abîme avec le film de jeunesse, autant d’allers et retours menés par une mise en scène débordante, rebelle et parfois incontrôlable de Gilliam qui risque de perdre à chaque instant le spectateur.
Difficile de résumer en peu de temps la richesse du propos étalée sur plus de deux heures. Si la confusion est présente, l’émotion également sait être au rendez-vous. Les personnages, parfois pas toujours bien développés, sont attachants et arrivent à émouvoir par leur quête. Celle de l’amour, de la reconnaissance ou de la rédemption. Le monde du divertissement se meurt, vidé de son sens, de sa réflexion et de sa magie. Gilliam lui-même se sent d’une autre époque. L’épique rejoint alors la mélancolie et dans un dernier élan de combat, Toby finit par embrasser la destinée de son Don Quichotte. Quelque soit la fin, c’est l’aventure de la vie qui définit bien ce que nous sommes.
« L’homme qui tua Don Quichotte » est presque une synthèse de la filmographie de Gilliam : le pessimisme de « Brazil », l’ivresse « des aventures du Baron de Munchausen » et dans une moindre de mesure, la folie des Monty Python. Ce qui est passionnant, c’est que la grande thématique du réalisateur est d’avoir confronté l’imaginaire avec la réalité. Une réflexion qui irrigue le statut même de sa dernière œuvre. Nous avons longtemps alimenté voire fantasmé cette aventure de Don Quichotte en attendant son hypothétique sortie. Gilliam est finalement bien le double de tous ses héros, ceux qui sont écrasés par un système qui répudie toute personnalité. Quelque soit notre opinion, « L’homme qui tua Don Quichotte » a quelque chose de réellement émouvant car finalement cette histoire est le reflet de sa vie artistique.
Le film vaut vraiment le coup d’œil parce qu’il offre justement le témoignage unique d’un réalisateur qui est peut-être loin de son âge d’or mais qui n’a pas dit son dernier mot. « L’homme qui tua Don Quichotte » a quelque chose de singulier bien qu’imparfait et pas forcément accessible à tous les publics. Il montre que les vieux contes ont gardé leur force onirique, leur souffle épique et surtout leur magie. A l’heure où les blockbusters et les films d’auteurs n’ont jamais autant accentué le fossé qui les sépare, Gilliam envoie tout valser et livre une œuvre qui ne cessera jamais de combattre les moulins à vent qui bloquent le droit à la liberté.
« L’homme qui tua Don Quichotte » a détruit son aura légendaire à partir de sa sortie. Qu’importe, il délivre un voyage unique comme on n’en voit rarement au cinéma actuellement. Certes, ce n’est pas un chef-d’œuvre mais il mérite mieux que l’accueil poli et dubitatif qu’il a eu de la part de certaines critiques. Inégal et instable, c’est un cocktail d’émotions, d’action et de pistes philosophiques qui surprendra de bien des manières.