Voilà l'exemple de film dont le discours lui a permis d'atteindre une pertinence intemporelle. Jetant un regard lucide sur un pays dont la constitution et l'état de droit se sont obtenus au prix de violentes dissensions et de personnages légendaires, John Ford se sert d'un genre aussi codifié que le western pour le retourner.
Le décors est indissociable de l'Ouest américain tel qu'il est envisagé (mythifié plutôt) au 7ème Art. Mais les fusillades sont réduites à leur part congrue. De la même manière, les deux personnages principaux - Ransom Stoddard et Tom Doniphon - semblent difficilement tenir dans une case. Le premier ne se tint pas à l'idée d'un irréductible idéaliste, tandis que l'autre revêt une dimension plus romantique.
Ce qui a lieu ici, c'est la confrontation entre deux civilisations dont les conceptions divergent. Si le scélérat Valance refuse toutes contraintes, l'avocat Stoddard ne jure que par la loi dans son sens le plus noble. Au milieu, il y a Doniphon qui applique ce qu'on pourrait appeler une "justice de far-west". C'est dans la nuance entre les deux bons que le film trouve tout sa profondeur, quoique Lee Marvin fait des merveilles dans un rôle antipathique au possible.
Ce qui rend L'homme qui tua Liberty Valance remarquable se situe dans l'intelligence de sa thèse, qu'il n'a jamais besoin d'appuyer. Elle se résume à sa réplique la plus iconique ("Quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la légende"), d'une concision qui n'a d'égale que sa justesse. Le film rappelle que les contes moraux ou récits communément répandus ont souvent pour but d'adresser une morale, et cela même s'ils en occultent certaines nuances qui en changeraient la signification.
Une des œuvres les plus denses et fascinantes de John Ford, qui en plus est servie par un duo d'acteurs (James Stewart et John Wayne), plus attachants que jamais.L'un des plus beaux mensonges que Ford a servi au cinéma. On y croit à tous les coups parce qu'il en dit plus long que la vérité.