Quand disparaît un être cher, on souhaiterait rattraper le temps perdu, s’offrir quelques instants, un moment de plus avec le regretté. David Bowie semblait immortel, habité d’une éternelle jeunesse, c’était un génie musical tombé du ciel de la pop-rock britannique. Son goût du travestissement, ses jeux identitaires l’amenèrent naturellement à faire l’acteur : une chance pour nous de prolonger un peu encore le bonheur de sa compagnie.


The Man Who Fell To Earth, sans être un chef d’œuvre de science-fiction, joue sur les apparences seventies de l’artiste pour créer un personnage hors du commun qui nous renvoie aux mystères du chanteur anglais. Envoyé d’une planète qui se dessèche, Thomas Newton cache ses origines extraterrestres aux yeux de tous pour se fondre dans le monde. De là où il vient, il a rapporté de nombreuses technologies qu’il brevette et s’assied alors sur une petite fortune qu’il va consacrer à la construction d’un vaisseau capable de transporter de l’eau à travers l’espace pour sauver les siens. Comment ne pas déjà faire le parallèle avec l’étrange artiste polymorphe qu’est David Bowie, avec les richesses musicales et formelles de ses albums, avec le transport qu’il laisse entrevoir à ses auditeurs ?


Mais tout ce temps passé sur Terre le pervertit, le brouille, l’anéantit presque. Entre les frénésies et la surabondance d’informations audiovisuelles, les voluptés du sexe et les oublis de l’alcool, inadapté aux événements terrestres autant qu’hanté par les visions apocalyptiques des siens, ne sachant ce qu’il peut confier à ceux qui l’aident, Thomas Newton se laisse imprégner des faiblesses humaines, et sombre dans un alcoolisme méthodique, bientôt entretenu par les geôliers qui finissent par l’enfermer pour l’empêcher de repartir. Emprisonné dans son apparence humaine, le Starman s’oublie au Beefeater et raconte la déchéance facile, l’échec qui mène à la désillusion et à l’abandon des rêves.



Le regard du réalisateur sur ses congénères est abrupt,



violent et définitif. Des êtres faibles, d’une couardise et d’une indécision contagieuse.



There’s a Starman waiting in the sky, he’d like to come and meet
us but he thinks he’d blow our minds



David Bowie compose un Thomas Newton magnifique et malingre, détaché et décalé, entre incompréhension et curiosité jusqu’à l’emprise de l’alcool. Alors une torpeur s’empare du personnage que le chanteur sublime dans son regard vairon, un être éthéré de passion, perdu à jamais pour les siens et qui n’a plus que ses regrets terrestres pour meubler son ennui, alourdir un peu plus encore le poids de ses erreurs.



L’homme est sa maladie, son aigreur, sa perte.



Sorti en 1976, The Man Who Fell To Earth tourne plus autour de David Bowie qu’il ne s’investit dans son scénario : les longueurs qui étirent le film, les ellipses parfois compréhensibles à rebours, le manque de liant d’une scène à l’autre, les séquences expérimentales, Nicolas Roeg filme l’artiste plus que l’histoire, qu’importe les deux se mêlent, il n’y avait que Ziggy Stardust pour incarner L’Homme Qui Venait d’Ailleurs. Alors malgré les longueurs et les faiblesses de mise en scène, malgré la désillusion humaine qui porte un film désespéré, ces deux heures avec le regretté David Bowie restent un bonheur à part,



extraordinaire, autant que l’artiste.




Planet Earth is blue and there’s nothing I can do

Matthieu_Marsan-Bach
7

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Créée

le 12 janv. 2016

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