Beigbeder, Proust, l’univers impitoyable de la mode et des nichons : voilà, grossièrement, les mots-clefs de la communication autour du film L’Idéal. Et si la vague subversive n’était qu’un bad buzz ?


Un peu partout, vous verrez L’Idéal affiché (vendu) comme la suite d’un film vieux d’un peu moins d’une décennie : 99 Francs. A cette époque, c’est Jan Kounen qui réalise, mais l’idée est là. Octave Parango, interprété par un Jean Dujardin pas encore Oscarisé, dresse un portrait au vitriol de la publicité et du marketing – le domaine de prédilection de Frédéric Beigbeder – adapté du roman éponyme. Subversif tout en restant filmique, provocant sans être gratuit, le film, sans être un bijou extraordinaire, reste une franche réussite.


Si c’est bien Octave qu’on retrouve dans L’Idéal, les traits ont changé. C’est désormais Gaspard Proust, humoriste acerbe et souvent trop rapidement comparé à Pierre Desproges, qui incarne un Octave muté des bureaux de Publicis à ceux informels des galas de beauté de l’Europe de l’Est. Octave est « scout ». Il recherche activement les prochaines figures et égéries des marques de cosmétiques occidentales. Autrement dit, il passe le plus clair de son temps aux côtés de visages, de fesses et de seins plus mathématiques qu’esthétiques. L’Idéal est encore adapté d’un roman de Beigbeder, Au Secours Pardon, paru en 2007. Il endosse cette fois lui-même le rôle de voyeur, où il retrouve Proust dans la même relation réalisateur-acteur après L’amour dure 3 ans en 2012.


Qu’il est méchant le méchant


Robert McKee serait capable de s’enterrer, juste pour pouvoir se retourner dans sa tombe. Alors qu’il ne cesse de répéter l’inutilité de la voix-off, de vociférer contre elle, Beigbeder opte pour y plonger les deux pieds, en éclaboussant toute son introduction par ce principe. Non pas que Story soit en soi un modèle incontournable, une vérité sans faille. Le procédé ne constitue pas un billet simple pour l’enfer chez quiconque ose le composter. Pourtant, force est de constater qu’à l’image de son film, Beigbeder en use et abuse pour exprimer les soupirs désabusés d’Octave et ses muses.


Voilà donc Proust fanfaronnant dans un plan même pas séquence, et pourtant cadré comme tel, s’adressant davantage au spectateur qu’à des personnages ne parlant de toute manière pas un traître mot de Français. Pour éviter la déception du spectateur un peu trop attaché au battage marketing de la « suite de », il faut recadrer l’intégralité du personnage Parago en 5 minutes. Soit un homme cynique, méprisant et méprisé, addict de tout ce qui ressemble vaguement à une substance qui se sniffe et qui n’hésite pas à prendre à parti le spectateur.


Le propre des films aux protagonistes antipathiques, aussi affreux et pauvres qu’on les voie ou qu’on les veuille, est de parvenir à renverser l’opinion du spectateur. A les rendre empathiques. Quoiqu’on en dise, et en particulier dans le cadre normé de la comédie dans laquelle s’installent volontiers Beigbeder et Proust, le biais est un passage obligatoire, sous peine de réserver au spectateur le sort d’un visionnage bras croisés, moue dubitative en guise, au mieux, d’indifférence polie. Au fond du trou, Octave se voit affublé d’une quête pour une grande maison de cosmétique française, L’Idéal – pour ne pas la nommer. Puisqu’il est imbitable seul, flanquons-le de Valentine Winfeld (Audrey Fleurot, Intouchables), directrice maniaque au sexe (et donc au style) opposé.


Good scout, bad scout


Ensemble, Starsky et Hutch doivent trouver la nouvelle égérie de la marque, après que l’ancienne se soit faite pincer sur internet en train d’insérer des tubes de crème de la maison mère dans l’anus de son petit ami, brassard nazi au bras et allemand vociférateur aux lèvres. La situation prête au ridicule, comme tant d’autres présentées par L’Idéal. Des douches prises avec des beautés plastiques aux délires maniaques et paranoïaques du patron/patronne de la marque incarné par Jonathan Lambert, en passant par les oligarques russes défoncés en permanence et les stagiaires crédules en bouc émissaires de la tyrannie des parvenus, tous les poncifs du milieu y passent.


Problème : ils sont traités par Beigbeder comme autant de clichés populaires mis en scène sans imagination autre que celle de provoquer, de choquer, sans aucun second degré. Maîtrisant visiblement beaucoup moins son sujet que dans 99 Francs, le rédacteur en chef du magazine Lui semble narrer son milieu par le prisme des histoires que ses collègues lui racontent – visiblement, tous aspirants au cynisme et à l’anti-charisme de Parango. En résulte une succession de pseudo-situations choc, qui serviront surtout à nourrir le drama ambiant des petits bourgeois du milieu qui voient leur ligne de métier bien plus théâtrale qu’elle ne l’est. Pour les autres, L’Idéal se résume à un voyage dans un grand huit, par ailleurs mis en image dans le film. Une attraction bien trop prévisible, qui ne tente jamais de s’écarter de ses rails et se paie le luxe de présenter son looping comme une ingénierie révolutionnaire. Raté.


Sans originalité, évident comme un nez refait au milieu d’une figure botoxée, L’Idéal passe de l’état d’ennui passable à celui de grogne caractérisée dès lors qu’il tente de basculer dans la morale à (99 ?) deux francs. L’intervention d’un ersatz de Femen pour court-circuiter des sévices évidentes, leur peinture anarcho-hystérique fantasmée et le rêve d’une vie meilleure, champêtre et bucolique, rappelle précisément les vecteurs de valeur bidon présentées dans les publicités faussement subversives distillées le long du film.


A un peu plus de 50 ans, on attend de Beigbeder une lecture mature et distanciée des vices d'un des nombreux milieux desquels il se réclame, la mode. Au contraire, L'Idéal sert une suite de poncifs, d'écueils et autres figures (auto)imposées. Bien plus rapproché du choc des photos de Paris Match que de l'illumination d'insider des Loup de Wall Street et The Big Short, voilà un objet qui plaira uniquement à ceux qui fantasment cette vie là. Très peu pour nous.


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le 15 juin 2016

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