Peu après le visionnage du subtilement provoquant "Amour" d'Haneke, il est plutôt insolite que je tombe sur celui-ci...coïncidence... le mot coïncidence de toute façon ne veut strictement rien dire quand on peut entrevoir, ou tout du moins imaginer toutes les ramifications liant chaque élément et composante de notre environnement.

Bouchez-vous les orifices auditifs si vous tenez absolument à découvrir ce chef d'oeuvre avant que je dévoile sans ménagement l'essentiel...
…Vous êtes encore avec moi, ok, c’est parti, jme lance :
L'île nue est la plus belle évocation de l’esprit du samouraï que j’ai pu apercevoir au cinéma. Là où Barberousse était un idéal, presque inateignable, eux sont bien réels, enfin façon de parler. Disons que ces êtres humains d'exception, pour certains, nous avons eu la chance d'en croiser quelques-uns. Autre intéressante « coïncidence », qui, rassurez-vous n'a rien à voir avec la première, quoique, ces personnes vivaient sûrement en milieu rural et n'avait jamais vraiment arrêté de mettre la main à la patte. Sans même souvent savoir pourquoi on s'inclinait naturellement d'admiration et de respect devant tant de dignité et d'humilité. Ici, c'est la même chose, sauf qu’une fine couche de plexiglas et une bichromie d’époque nous prévient de cette rencontre et de cette échange qui aurait pu humainement encore plus nous enrichir, pour autant, pas de quoi sombrer dans un inconsolable regret.

Pour en revenir à la ressemblance avec Amour qui nous exhibait sans aucun scrupule la souffrance quasi inévitable par laquelle nous passerons tous, L'ile nue n'a aucunement cette volonté. En effet, le film, sans aucun dialogue nous dépeint la vie ordonnée d'une famille isolée sur une île jonchée de champs de légumes et de rizières. On peut facilement se laisser mener en bateau par le traitement similaire, mais encore aurait-il fallu que le deuil et la souffrance soient les thèmes centraux. Ce n'est évidemment pas le cas ici, Kaneto Shindo, dans la grande tradition du cinéma japonais que j'affectionne tout particulièrement, joue habilement avec la poésie et la symbolique sans jamais s'écarter d'une vision universelle des choses. Au sein de laquelle l’infinitésimal et l’infini sont les deux faces d’une même pièce. Certes, on suit le quotidien bien réglé de cette famille où « l’imprévu » n’est pas de leurs faits mais celui des « aléas » de la Vie. Ainsi quand on les regarde, on voit aussi à travers eux ces hommes et ces femmes qu’on a peut-être connu et qu’on pourrait peut-être même devenir si on s’en donne les moyens.

Pourtant, afin de ne pas vous mentir, je dois confesser que je me suis parfois ennuyé à la vue des tâches difficiles et répétitives qu’ils étaient amenés à réaliser pour simplement survivre, toutes ses tâches basiques comme chercher de l’eau ou arroser les champs. Dans l’esprit, le rapprochement avec The Tree Of Life m’est de suite paru évident. On retrouve la même pureté et la même vérité dans cette transmission de ces instants de vie. Une critique de TTOL disait que ce dernier était aussi cosmique que cosmologique, faisant fît de la métaphysique inhérente au style, L’île nue se fend de la même approche cosmique dans le traitement de la vie humaine et se trouve même être une sorte consécration qui s’ignore. Pourquoi ?, parce que le film ne se limite pas à des tableaux dévoilant l’existence d’une famille assez commune à l’époque. Chaque scène est insufflée par les mêmes principes, la même philosophie. Cet idéalisme lorgnant vers le Bushido et le Zen est dans la forme peut-être différent du christianisme panthéiste cher à Malick, mais se nourrit des mêmes valeurs absolues. C’est grâce à l’ensemble des points que j’ai développés jusqu’à présent et grâce à ma sensibilité parfois trop exacerbée que j’ai pu voir en cette oeuvre l’aboutissement même de la voie du samouraï. Tous les éléments de cet ensemble vérifient inévitablement cette hypothèse, même les détails les plus anodins.

Aussi discrète soit-elle, L'île nue dispose d'une trame scénaristique presque classique. Conformément à mon précédent paragraphe, si on s’en tient à la philosophie qui définit la structure entière du film, l’évènement qui survient après plus d’une heure de film n’était pas nécessaire ou en tout cas, non déterminant quant à la vérité prédéterminée de l’œuvre. Contrairement à des réalisateurs comme Lynch ou Oshii qui peuvent se permettre de pousser le bouchon toujours plus loin au détriment d’une compréhension toujours plus imparfaite de leur public, Kaneto Shindo a compris que pour rendre cette magnificence plus intelligible, il fallait que son degré d’accessibilité soit plus adapté à des spectateurs moins réceptifs et moins souvent enclins à fournir un travail inductif. Non pas qu’ils n’auraient pas distingué l’analogie avec nos aïeux, mais sans doute qu’il seraient passés à côtés d’un trop grand nombre de détails liés et cohérents entre eux.. en gros, à côté de l’essentiel…

Je m'étais montré critique quant au choix du mot « Amour » par Haneke, « L'île nue », est paradoxalement un titre plein d'humilité qui malgré sa poésie ne laisse aucunement présager de son immense richesse. A l'instar du film de Kurosawa et si rare cela soit-il, de le nommer "Amour" ou "Vivre" ne m'aurait aucunement choqué, mais, afin de ne pas trahir la décence qui enveloppe si bien l’œuvre, quoi de plus respectueux et avisé que de donner un titre qui en soit ne veut pas dire grand-chose, excepté d'évoquer sa grande pudeur, laissant au spectateur le plaisir perdu de découvrir une richesse insoupçonnée sans aucun apriori…
Mehdi-Ouassou
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le 9 nov. 2012

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Mehdi Ouassou

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