Je crains les hommes pressés. Rien de grand ne nait de la précipitation. Après la Triplette de Belleville, Sylvain Chomet posa ses valises et ses crayons à Édimbourg. Il prit le temps de s’imprégner de l’Écosse, de l’aimer et, quand les héritiers de Jacques Tati lui proposèrent d’adapter ce texte, l’idée de transposer le dernier voyage de Taticheff dans les hautes terres s’imposa à lui.


Tati incarne un illusionniste de métier, un saltimbanque vieillissant qui se voit mis sur la touche. Son public est mort et les salles ne programment plus que de jeunes rockers surexcités. Naïf, il tente sa chance à Londres, une ville envoutée par le rock. Invité à se produire en Écosse, une jeune Cendrillon s’attache à lui. Il est tout à la fois son véritable magicien, son prince charmant et un père de substitution. Il n’ose la repousser et tente de répondre à ses attentes, un savon, des chaussures, un manteau et, pour se faire, multiplie les petits boulots, avec plus ou moins de réussite. L’histoire pourrait n’être qu’une variation mélancolique sur le Kid de Charlot, si nous n’étions pas en Écosse. Une lumière surnaturelle joue sur les eaux translucides des lochs, les landes désertiques et les pierres antiques. En bon nomade, Taticheff bouge, marche, roule, navigue... Il grimpe, descend, contourne et admire. Taticheff parle peu. Faute à la barrière de la langue, mais aussi à la timidité, il mime. L’illusionniste s’exprime avec ses fleurs, son lapin rebelle et ses verres de vin. Il crée de la magie, suscite surprise et émerveillement. Le vieil homme donne et se donne.


Le trait de Chomet s’est assagi. Bien que ses personnages soient moins outranciers, ils conservent cette fascinante capacité à croquer, en deux mouvements, allure et caractère. Admirez l’envol des grues danseuses, les applaudissements déhanchés du vieil artiste, le large rire triste du fêtard, les trognes avinées et chancelantes des piliers de bar... La filiation avec Toulouse-Lautrec, celui des bordels et des cabarets, est évidente. Avant de dessiner, tous deux ont pris le temps de voir, de consommer et d’aimer. Méfiez-vous des hommes pressés.

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le 7 févr. 2019

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Step de Boisse

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