Pas de musique. Rien d'autre que le vent faisant chanter les branches d'une forêt verte auprès d'un lac.
C'est une parenthèse, une fenêtre, une pause à l'écart des villes, du monde qui bouge trop vite, du travail, des obligations. Une vie en-dehors de la vie comme beaucoup l'entendent et la conçoivent. Une vie où tout est superflu : les fringues, la pudeur, le temps, les règles. Les vagues discrètes frappent inlassablement les galets contre la rive, peignant un tableau idyllique d'une nature à la puissance sereine. Elle n'a pas besoin d'atours effrayants. Elle est. Elle écrase les quelques silhouettes dénudées allongées là, ne s'éloignant que pour se satisfaire entre deux fourrés. Certaines choses ne changent pas. Les routes, les bagnoles, les tours et les smartphones ne peuvent rien contre 3 000 000 d'années de bestialité et de pulsions sexuelles que la société contraint à refouler.
La maîtrise d'une mise en scène qui ne cherche pas à épater, qui se veut simple sans être simpliste. C'est trois mecs, une atmosphère, quelques hères épars alentours, désespérés, désespérants de solitude. C'est le sexe brut, mais pas brutal, une errance en quête de quelques minutes grappillées çà et là, volées aux autres, à ces étrangers qui le jour d'après deviennent des amants, des connaissances quotidiennes. C'est la tendresse d'une amitié neuve et sans fondement autre que le hasard et l'envie nue, la chaleur d'un coup de foudre aussi puissant que dangereux.
Les feuilles, le vert, le bleu, avalent, noient les hommes, les font disparaître et les camouflent. La loi n'a pas sa place. Le meurtre ne prend pas de pincettes et tâche de son rouge les couleurs pastel sans le moindre égard. La Loi est réduite au silence et tuée à son tour. C'est le règne du libre-arbitre et des choix douteux.
C'est Délivrance pour son lac quasiment élevé au rang de protagoniste, témoin muet et complice des scènes atroces se déroulant sur ses berges. Pour ces hommes frêles, qui vont, viennent, baisent et meurent au creux d'une herbe sauvage et déjà mille fois foulée. Pour ces hommes qui s'entretuent en refusant de s'assujettir aux textes sacrés, aux textes publics. "Tu ne tueras point" n'a aucun sens, alors.
C'est les Liaisons dangereuses pour le jeu des corps, la tentation permanente. Le vent dans le dos de la chance, qui livre au creux des bras le fruit de la convoitise. L'Inconnu est trop beau pour être vrai... ou trop beau pour être bon. C'est le noir, le cramé, le pourri derrière le vernis rutilant. C'est aussi la désespérance, la peur d'avouer la souffrance, la passivité plutôt que la réaction, la vie en sursis.
L'Inconnu du lac est un film moins silencieux qu'il n'y paraît. Plus pudique aussi, qu'il n'y paraît.
Il trimballe avec lui quelques vérités pas agréables à entendre, transperce de cette fameuse solitude cachée partout, révélée par les corps enlacés.
Non-sens et absurde ; film à déguster une nuit lumières éteintes.