La Femme en Bleu
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le 15 août 2020
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Après un Harmonium très minimaliste, le Japonais Kôji Fukada nous offre une Infirmière tout aussi concis, un peu sec. Toujours en collaboration avec Mariko Tsutsui, qui joue le rôle de l’infirmière Ichiko, il continue son exploration de l’âme humaine, de l’âme japonaise même, où les frémissements les plus anodins peuvent être la source de tremblements extrêmes, dans le cadre d’un effet papillon plus vrai que nature.
Ichiko apparaît pour la première fois dans un salon de coiffure, prête à sacrifier sa belle chevelure pour symboliser un changement de vie. Elle annonce au coiffeur qu’elle vient de quitter son boulot. Dans les plans d’après, on la voit dans ledit boulot, celui d’une infirmière privée dans une famille fantomatique, peu bavarde, à l’exception justement de Grand-Mère, sa patiente, une artiste fantasque, qui perd doucement la tête au milieu des effluves de ses cigarettes. Elle est la seule à apporter un peu de vie dans cette famille quelque peu neurasthénique. Ichiko est une femme généreuse qui prend sur son temps de loisir pour aider les deux jeunes filles de la famille Oishi, Saki et Motoko (Mikako Ichikawa, impressionnante avec son jeu très intériorisé), à faire leurs devoirs dans un café en ville. Un soir, après un de ces cours, Saki est victime d’un kidnapping. Un homme est arrêté ; c’est le neveu d’Ichiko.
L’Infirmière est racontée sur deux espaces temps d’une manière déroutante, apportant du piquant à l’histoire. Il y a le temps de l’avant, avant le kidnapping où Ichiko coule de jours paisibles et heureux entre « sa » famille, et son fiancé, un médecin rencontré sur son lieu de travail. Puis, il y a le temps de l’après, après la coupe de cheveux, après la perte de son travail suite à ce kidnapping qui ne la concerne en rien, ou peut-être si, on ne le sait pas. C’est un temps sombre, un temps de rancœur, de vengeance, de noirceur. La vie d’Ichiko y est peuplée de cauchemars portés à l’écran par Fukada de manière plutôt effrayante. Ces deux époques sont mélangées sans transition et de manière aléatoire dans le film. Toutefois, le cinéaste réussit l’équilibre entre la vie éthérée de l’avant, des scènes de vie qui, une fois de plus , comme dans Harmonium, font penser à certains films de Ozu, et la folie d’après, la duplicité, le voyeurisme, les trahisons des uns et des autres.
Estampillé thriller, L’Infirmière se soucie en réalité très peu du motif, du mode opératoire, et du dénouement de ce kidnapping. Ce qui intéresse le réalisateur, c’est de montrer le chemin erratique que la vie d’Ichiko emprunte suite à des vents contraires, violents, et surtout injustes. Ce qui le motive, c’est de montrer le carcan de cette société japonaise régie par le code de l’honneur qui abuse ses citoyens : la jeune Saki qui est en dépression car au collège, on insinue qu’elle a été violée pendant son kidnapping en est un exemple ubuesque. Une société qui vit du coup dans un système d’importante hypocrisie. Ce qui le guide, enfin, c’est de montrer combien la société actuelle, japonaise ou pas d’ailleurs, est dominée par la violence des médias qui font et défont la vie des uns et des autres, toujours prêts à juger, à donner des victimes en pâture à la population…
On voit donc qu’une fois de plus, Kôji Fukada a réalisé avec l’Infirmière un film à plusieurs niveaux de lecture. L’impact est d’autant plus fort qu’Retrouvez aussi cette en apparence, il ne se passe rien. Tout est suggéré, par petites touches plus ou moins brutales, le désir et le sexe, l’amour, peut-être la folie que seul un amas de sacs poubelle dans le coin d’une pièce laisse supposer. Les sentiments animant les personnages, négatifs ou positifs, se devinent plutôt qu’ils ne sont démontrés. Ce sont tous ces non-dits qui font tout l’intérêt d’un film qui délivre peu à peu tous ses secrets.
Encore assez peu connu dans l’Hexagone, Kôji Fukada est en train de se faire une sérieuse place auprès des cinéphiles amateurs de cinéma japonais, avec des œuvres d’une beauté formelle indéniable, des scénarios assez originaux, et une mise en scène singulière. A suivre, donc.
Créée
le 9 sept. 2020
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