juin 2011:

Tiré d'un roman de Gabriele d'Annunzio, ce film dresse le portrait d'un couple que l'on pourrait qualifier de dégénérés. Longtemps, l'on croit que seul le personnage interprété par Giancarlo Giannini est perdu, bouffé aux mites par un orgueil démesuré et un ego hypertrophié mais son épouse (Laura Antonelli) laisse peu à peu se développer une ambiguïté qu'elle lève sur le tard et qu'elle aura beau jeu de balayer vite fait en fin de compte, ce qui lui permet perfidement de s'exonérer de sa large part de responsabilité dans la tragédie qui se joue.

Des deux comédiens, c'est sans doute Laura Antonelli qui m'aura le plus marqué par, justement, cette double figure que son personnage lui impose, tâche ardue qu'elle accomplit avec une certaine maitrise.

Giannini dessine à grands renforts de regards tourmentés et de petites perles de sueur sur le front un personnage plus net, peut-être pas moins compliqué à incarner en tout cas mais moins impressionnant sur le plan scénique, en ce qui me concerne.

Enfin, Jennifer O'Neill est le témoin complice et plutôt cynique des dysfonctionnements de ce couple.

J'ai employé le terme de dégénérescence tout à l'heure, je crois que les regards moraux que portent d'Annunzio et Visconti sont d'une importance capitale. D'ailleurs Visconti n'omet pas de mettre en avant le fossé entre ce grand bourgeois immature et la religion pourtant omniprésente dans les évènements symboliques (ce n'est évidemment pas un hasard si l'innocent périt le jour de Noël), comme dans l'iconographie qui pare les murs des villas et maisons. On insiste lourdement sur son athéisme et l'usage qu'il en fait pour essayer de manipuler sa femme. C'est très étonnant cette figure christique, celle du sacrifice, que Visconti mêle au destin de l'enfant, cette innocence que la folie du couple met en relief. C'est une part du cinéma de Luchino Visconti qui me paraissait évidente dès la trajectoire de Rocco par rapport à ses frères, mais qui ne m'avait jamais autant interpellé finalement et de manière aussi nette que sur ce film-là.

Peut-être que l'insistance de la mise en scène sur cet "innocent" ainsi que le visage diabolique de Giannini font apparaitre la thématique avec une plus grande insistance? Peu réceptif à ce genre de questionnement mythologique, je suis plus ému par le sort, la souffrance des êtres qui s'abîment et suintent l'absurdité de cet élan autodestructeur.

Mais s'il est vrai que la symbolique chrétienne tient une place importante dans le film, elle n'en fait pas pour autant l'axe central. Je crois bien que Visconti s'intéresse davantage à ses personnages, ce drame atroce de la passion qui les lie l'un à l'autre vers une destinée fatale. Et là on est manifestement dans un sujet plus universel, plus intrinsèquement attaché à la nature humaine, à cette mécanique néfaste faite d'illusions, de faux espoirs, d'aveuglements, dans cette sorte de distorsion de la réalité que les cœurs sont capables parfois d'alimenter.

Sans doute que cette passion, non plus christique mais aussi charnelle qu'intime, celle qui voit deux personnes se réunir pour mieux se détruire, Visconti l'a-t-il voulu rouge, cette couleur étant souvent présente dans la photographie de Pasqualino de Santis? Parures mais surtout décors scintillent de ces richesses d'apparat, pompeuses, de la fin du XIXe siècle, dans l'opulence et l'oisiveté des fortunés italiens qui précipitent cette gente vers son malheur.

Le film ne m'a pas autant ému que je l'aurais souhaité. Les œuvres majeures de Visconti ont malheureusement peut-être un peu pesé, je le crains. Lourd héritage que "Ossessione" ou "Rocco et ses frères" font peser sur ce mélodrame, certes bien construit, mais sans doute sans le même relief.
Alligator
7
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le 19 avr. 2013

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