Espèce de [censuré pour votre sécurité]!

L’insulte qui donne son titre au film, ce serait l’équivalent de la goutte d’eau qui arrive la dernière dans un vase trop plein, c’est celle qui fait tout déborder alors qu’en fait elle a autant de responsabilité dans l’affaire que toutes celles qui l’ont précédée.


Comme toutes les disputes, celle du film démarre d’un insignifiant accrochage. C’est le refus d’admettre qu’on a peut-être eu tort et l’attente d’un geste de l’autre qui cristallise la situation.


Sauf qu’ici il y a une dimension supplémentaire, quelque chose qui est là depuis le début mais que le spectateur n’appréhende pas tout de suite: il y a le contexte politique du pays.
Au fur et à mesure qu’on avance dans l’intrigue, on découvre à quel point une situation peut s’envenimer pour un peu que le terrain soit propice à ce genre de déferlement.
On se rappelle comment chez nous une bavure policière a pu réveiller dans les banlieues une série d’émeutes et on imagine sans peine à quel point il est facile de mettre le feu aux poudres quand elles n’attendent que ça.


L’insulte est un film qui entend faire le point sur la cohabitation difficile au Liban entre les réfugiés palestiniens et les libanais chrétiens qui n’acceptent pas la présence des premiers chez eux.
Si on commence en se disant qu’effectivement les deux personnages ont tous les deux tort de refuser de nuancer leur position, si on a du mal à comprendre comment ils peuvent ne pas s’arrêter à temps, il suffit d’avancer dans le film pour se rendre compte qu’en les jugeant à partir de simples faits on a omis ce qui les entoure, on a oublié qu’ils ont chacun leur background.
En basant notre appréciation uniquement sur les quelques minutes qu’on nous a données on a fait exactement comme les anti-héros du jour: on a pris position sans savoir, on a jaugé à l’aune de notre propre expérience, sans prendre en compte l’autre.
Ces a priori de bas étage, c’est justement ce qui a causé la dispute au centre du film, c’est ce qu’il vient surligner, et notre propre méprise nous aide à comprendre les positions des deux camps.


C’est là que le film convainc: il nous place de fait dans une position de juge et nous présente une sorte de miroir des préjugés qu’on a pu nourrir.
En traitant d’une querelle de voisinage presque ordinaire, ‘l’insulte” met le doigt sur des tensions latentes actuelles et essaie d’en trouver quelques fondements au cours du procès.
C’est en fouillant dans les archives personnelles des personnages qu’on en apprend plus sur l’histoire du pays, sur les griefs accumulés et les rancunes non digérées.
On comprend que le sujet n’est pas de savoir si un balcon est conforme mais comment on fait pour avancer en trainant son passé, comment on peut (on doit) pouvoir oublier nos souffrances pour offrir un meilleur avenir aux suivants.


A la manière d’un juré lors d’une audience, le spectateur est placé devant les arguments des deux camps et est bien en peine de savoir de quel côté faire pencher la balance.
Le réalisateur s’évertue à garder tout le long du film une sorte de juste milieu, de montrer que les deux camps ont aujourd’hui des raisons d’en vouloir à l’autre, tout en portant un message de tolérance. En voulant montrer les souffrances des deux côtés, il entend rappeler que personne n’est totalement noir ou blanc, et qu’il ne sert à rien de s’arc bouter sur ses positions.
Message simple qu’on pourrait aussi trouver simpliste, mais ça fait toujours du bien de voir que quelques personnes tentent de raisonner avec un peu de recul, et c’est bon de voir un film qui essaie de dresser un portrait sincère et émouvant d’un pays en souffrance.


Ce film nous interroge sur le poids de l’histoire. Ici Tony et et Yasser se voient mutuellement comme des représentants du camp adverse. Si chaque protagoniste n’était pas aux yeux de l’autre la personnification de ce qu’il déteste, ils auraient été capables de se serrer la main et d’en rester là. Sans devenir amis, ils auraient pu passer à autre chose, garder le souvenir du jour où ils se sont écharpés avec un inconnu, mais rien de plus.


La vraie question de l’insulte est de savoir si nous sommes forcément malgré nous les représentants de la communauté à laquelle on appartient, ou à laquelle les autres nous associent?
Nos actions sont elles différentes selon qu’on est né d’un côté ou de l’autre de la frontière?


Voilà un beau film parce qu’il parle d’une escalade comme on a tous pu en expérimenter, de ces petits riens qui deviennent de grandes affaires, mais ici la dimension politique ajoute une couche supplémentaire, rend les rancœurs encore plus tenaces et douloureuses.


Le constat sur la situation actuelle du Liban est légèrement déprimant, mais le message se veut optimiste, et on veut y croire.

iori
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le 24 janv. 2018

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iori

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