L'intendant Sansho, personnage intolérant aux méthodes despotiques n'est montré que de façon superficielle dans ce splendide film de Mizoguchu, il n'est présent que comme représentant de l'esclavagisme qui sera le sujet central de cette œuvre aux contours existentialistes en forme de récit initiatique dans un Japon féodal non affranchi de la servitude et du système de caste.


Le schéma narratif emprunté par l'auteur des Contes de La Lune Vague Après la pluie, est basé sur une évolution du temps et des changements que celui-ci provoque sur les gens. On suit la quête initiatique de Zushiô et de sa sœur Anju, enlevés à leur mère encore enfants, qui seront vendus en tant qu'esclaves à un seigneur despotique. Dès lors ils n'auront de cesse de s'affranchir de cet état afin de retrouver leur génitrice.


Cinéaste éminemment féministe, dans le sens où il n'a eu de cesse d'aborder le thème de la féminité sous toutes ses formes au fil de son œuvre, Mizoguchi met cette fois un homme au centre de son sujet. Un homme, passant de l'âge d'enfant à l'âge de raison, qui tracera son cheminement initiatique à travers le prisme féminin. Celui de sa sœur qu'il aura comme exemple et comme unique bouée à laquelle s'accrocher, et celui de sa mère qu'il aura comme but de retrouver.


L'eau est une nouvelle fois très présente dans cette œuvre résolument basée sur une narration épisodique, le film étant construit sur plusieurs périodes. Filmant de nombreux plans où la mer et diverses étendues d'eau bordent les avancées de nos personnages. C'est d'ailleurs sur une plage que s'achèvera le film comme une métaphore sur la filiation originelle.


Comme toujours esthétiquement soigné avec une utilisation raffinée des contrastes et de la lumière qu'un sompteux noir et blanc renforce, ce film est avant tout une magnifique ode à l'émancipation des masses contre l'oppression des castes dominantes. Le personnage de Zushiô étant la parfaite illustration de ce concept de libération des masses esclaves quand il aura à son tour connût les avantages du pouvoir de décision. Pouvoir dont il usera à des fins émancipatrices rejoignant ainsi les idéaux entrevus chez son père et qui aura bercé sa tendre enfance.


Utilisant parfaitement le cadre avec une aura esthétisante implacable, une utilisation des plans larges pour donner de l'intensité à sa mise en perspective et aux avancées de ses personnages dans un paysage tantôt inquiétant, tantôt magnifié par la présence des éléments, la mer, de grandes étendues, des champs de roseaux balayés par le vent, mais toujours avec ce souci d'utiliser la lumière à merveille, et des plans plus proches des gens et des visages pour alimenter les propos des personnages et leurs impressions.


Œuvre dense et incontournable de la filmographie de Mizoguchi, donc du cinéma tout court, si l'on considère qu'il fût l'un des auteurs les plus importants du cinéma japonais et donc du cinéma tout court. Souvent cité pour étayer des propos intéressants quand il s'agit de mettre en avant son extraordinaire travail esthétique et son illustration de grands thèmes du 7ème art, et parfois malencontreusement utilisé par certains donneurs de leçon douteux pour étayer un comparatif malsain à l’œuvre plus grand public d'un autre immense cinéaste nippon qu'est Akira Kurosawa.


Quoi qu'il en soit des idéaux et des points de vue de chacun, dont ils demeurent libres après tout, fort est de constater que mises bout à bout, les œuvres de ce grand cinéaste, forment une magnifique illustration de la grandeur et de l'exactitude de ce maître du découpage et de la profondeur du propos.

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7

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