Regard clair et sourire candide, la pureté se lit sur le visage du jeune Lem envoyé par son père à Chicago vendre à bon prix, espère le patriarche, le blé de la ferme.


Et c'est dans cette ville en pleine effervescence, bruissant de toutes parts en cette année 1929, période de la Grande Dépression, que le jeune homme, perdu et rêveur, va croiser le regard de Kate, jolie serveuse un peu lasse de cette vie confinée et répétitive, couvée du regard par les clients éméchés qui lorgnent sa poitrine juvénile et ses jambes galbées.


Dans sa chambre exiguë et bruyante, la jeune femme assoiffée d'air pur et de soleil, de nature et de grands espaces, donnerait tout pour échapper à cette pollution qui lui colle à la peau, rendant son environnement et les êtres qu'elle côtoie absolument insupportables.


Alors, c'est comme si un grand vent de fraîcheur soufflait soudain dans le snack quand Lem fait son entrée, balayant d'un sourire naïf les miasmes ambiants et d'un revers de main l'atmosphère fétide : son allure godiche, ses yeux clairs et limpides, sa candeur avérée touchent Kate plus qu'elle ne saurait dire, et qu'importent alors les sourires moqueurs qu'il suscite en récitant le benedicite avant d'entamer son repas...


Dans le train qui le ramène à la ferme, le garçon respectueux, le fils presque craintif a fait place à un homme amoureux qui serre contre lui sa douce moitié, ému et charmé par un être qui lui est devenu si vite indispensable.
Un souffle de liberté semble courir dans les plus belles images lors de l'arrivée
à la ferme: la course éperdue dans les champs qui ondulent au vent, somptueusement filmés, les étreintes, les baisers et les roulades sans fin dans le blé, bonheur tout neuf d'un couple en devenir.


Mais le ver est dans le fruit et le rêve se brise, Kate, toisée par le regard dur et sans appel de son beau-père, est vite cataloguée : une femme tentatrice et dangereuse, qui a pris dans ses filets un jeune homme un peu trop naïf.


Et semblant lui donner raison, les moissonneurs, émoustillés par la nouvelle arrivante, son allure accorte de femme de la ville et son plaisant minois, lui décochent force regards libidineux, la convoitant ouvertement et se gaussant d'un Lem qui ne peut même pas partager sa couche, puni de n'avoir pas su choisir entre un pater familias inflexible et la femme blessée qui se refuse à lui.


Une fois encore chez Murnau c'est l'histoire d'amour qui prend le pas sur le drame paysan, une fois encore c'est la femme qui est à l'honneur, mais si dans L' Aurore elle apparaissait fragile et vulnérable, elle incarne dans ce film caractère et modernité:elle est celle qui tient tête à la force brutale et aux préjugés qui ont la vie dure, à la ville comme à la campagne, dès lors que l'on est une jolie femme isolée dans un milieu d'hommes.


Une belle alchimie unit les deux acteurs, le lumineux Charles Farrell et la piquante Mary Duncan, portraits pleins d'humanité d'un couple pris dans la tourmente de la vie et des sentiments, où la femme permet à l'homme de s'accomplir, enfin : un rôle magnifique.

Aurea

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