Patience et langueur de temps font plus que force ni que rage

Le rédacteur en chef Austin Spencer, fervent détracteur de la peine capitale organise avec le journaliste Tom Garrett une expérience visant à prouver que la peine de mort est profondément injuste. En partant d’une enquête sans suspect, ils mettent en place un réseau de faux indices indirects qui coïncideront vers la condamnation à mort de Garrett. À son jugement, les deux hommes sont censés apporter les documents prouvant la supercherie et l’innocence de Garrett…

Sorti en 1956, l’Invraisemblable vérité est le dernier film américain de Fritz Lang. Comme pour son précédent, La Cinquième Victime, sorti en 1955, le film est porté par l’acteur Dana Andrews, qui joue dans les deux cas un journaliste. L’occasion, pour Lang, de prolonger son jugement sur les médias, ou comment la presse fabrique du spectaculaire et influence ses lecteurs en créant de fausses preuves. En guise de scène d’ouverture, L’Invraisemblable vérité propose une exécution qui sera le point de départ de la démarche des personnages comme de Fritz Lang. Le cinéaste convoque la peine de mort et sa légitimité mais ne limite pas à cela. Il apparaît, au cours du procès, que ce qui l’intéresse est la place des humains dans ce système. Leurs considérations émotionnelles et subjectives font basculer la justice déjà fragile. Qu’il s’agisse de la défense ou de l’accusation, leur obstination à obtenir gain de cause prend le dessus, devenant affaire personnelle. La mécanique d’enrayement de l’appareil judiciaire s’effectue en parallèle d’un enchaînement de coups de théâtre qui rabat les cartes durant la seconde partie du film. Le scénario de Morrow et Lang se déploie, particulièrement riche et ficelé et trouve son apogée lors du dénouement qui éclaire la mise en scène du réalisateur. Tout est question de point de vue sur la vérité, si tant est qu’il puisse y avoir une vérité et non plusieurs, en fonction du nombre de personnes qui pense la détenir. Ici, il n’est plus question d’expressionisme mais de rendre compte d’un point de vue qui se veut objectif et, par la même, d’une fatalité.

Le pessimisme de Fritz Lang trouve ici un écho particulier par l’aspect circulaire du scénario dans lequel on perçoit l’obsession du réalisateur pour le Mal sous toutes ses formes. La presse et la justice, corrompues, ne se dresseront plus en dernier rempart d’humanité face au meurtre. Les personnages sont tous arrivistes à l’image du procureur Thompson qui ne se soucie pas tant de la vérité que de son avenir politique. Ici, tout est éclairé, explicite et tous sont enfermés dans ce réseau d’indices. Déshumanisés, ils sont dépossédés de leur statut, les véritables protagonistes du film étant les preuves matérielles. Le manteau, les bas ou le briquet sont autant indices qui corroborent l’impression de désincarnation. Le regard de Lang sur la société américaine de l’époque est aussi noir que la lumière de son film est claire. Malgré cette binarité trompeuse, le spectateur voit ses certitudes morales ébranlées par un film qui ne se veut certainement pas manichéen.

Jekutoo
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le 1 juil. 2021

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