Vous est-il déjà arrivé d’oublier un film si profondément, si complètement, que vous ne vous rendez compte que vous l’avez déjà vu seulement arrivé à la moitié ? Et encore, vous n’arrivez pas à vous souvenir de la suite. Vous redécouvrez chaque scène dans un perpétuel et assez désagréable état de « déjà vu », tout en vous sentant un peu idiot.


Comme vous vous en doutez, ce fut mon cas pour Eagle Eye (2008) —subtilement retitré L’Oeil du mal en français, parce que comme nous l’a appris Hitchcock, les oiseaux, c’est le mal—. Et pourtant, je pense que moins de deux ans seulement se sont écoulés depuis mon premier visionnage. Deep Impact —la version moins fun d’Armageddon— avait lui aussi disparu de ma mémoire façon Houdini.


Eagle Eye, donc, raconte l’histoire de Jerry (Shia Labeouf) et Rachel (Michelle Monaghan), deux personnes lambda soudainement forcées à prendre part à une machination terroriste, manipulées à distance par une étrange voix capable de prendre le contrôle des appareils qui peuplent notre quotidien surconnecté.


Aux commandes de ce technothriller, Caruso. Non, pas David Caruso, l’aficionados de punch lines moisies et de lunettes de soleil, D.J. Caruso, yes man connu pour avoir réalisé d’autres films qui ont à peu près autant marqué ma mémoire qu’Eagle Eye, comme XxX : Reactivated (2017), I am Number Four (2011) ou Paranoïak (2007).


Et... bon... on va pas se mentir, il y a une raison pour laquelle je ne me souviens d’aucun de ses films. Le scénario, s’il comporte quelques bonnes idées sporadiques, est sérieusement capilotracté, les dialogues maladroits sans être horribles et la réalisation, sans saveur. Les acteurs sont corrects. L’action par moment divertissante. Mais ça va pas plus loin.


Finalement, l’intérêt du film se trouve plus dans son sujet. Il utilise le ressort classique de l’angoisse suscitée par l’emprise de la technologie sur notre société et nos vies, exploité de manière très similaire dans Die Hard 4 sorti un an plus tôt, et dans une moindre mesure The Dark Knight qui date lui aussi de 2008. Mais là où il devient pertinent, c’est quand il s’aventure sur le terrain du big data, alors que le terme et le concept sont encore relativement peu connus du grand public.


Sauf que. Sauf que le visionnaire, dans l’histoire, c’est Asimov. Le film se base en effet sur sa nouvelle Toute la misère du monde qui date... de 1958 ! Cinquante ans plus tôt, excusez du peu. Eagle Eye n’est donc pas un film visionnaire, c’est juste une lointaine adaptation au rabais.


Ce qui m’amène à raconter une anecdote d’un intérêt tout relatif, sous la forme d’une mini chronique que, pour des raisons de droits d’auteurs, j’intitulerai :
« Coïncidence cocasse, mais qui n’est probablement pas une coïncidence du tout ».


Et pour ça, je passe en mode spoiler.


L’idée d’adapter Toute la misère du monde est celle de Steven Spielberg. Mais trop occupé par son autre mauvaise idée du moment, Indiana Jones 4, il abandonne la réalisation du projet tout en restant producteur exécutif sur Eagle Eye. Là où ça devient cocasse, c’est que dans la nouvelle originale, l’ordinateur du nom de Multivac a pour fonction de prédire les meurtres avant qu’ils ne se produisent. Soit comme dans son Minority Report de 2001, lui-même adapté de la nouvelle éponyme de Philip K. Dick, publiée deux ans seulement avant celle d’Asimov, en 1956 !


Bref, que retenir d’Eagle Eye ? Rien, si ce n’est un conseil : lire Asimov. Et K. Dick.

Bastral
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le 13 mars 2019

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